lundi 27 août 2007

SEYCHELLES QUE J'AIME (CHRONIQUE)

Michel Savatier








SEYCHELLES ....






PETITE CHRONIQUE


ET MÉLANGE


A L ' USAGE




DES APPRENTIS-POLITICIENS,






DES JEUNES DIPLOMATES






ET ... DES OISEAUX-MIGRATEURS.






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_ COMMENT ON DEVIENT CHRONIQUEUR ...






















..." Ca te fera du bien ... Ca va te faire maigrir ! "


_ Tout a commencé par l'achat d'un râteau ...


_ " En passant en ville, achète-moi un râteau ... Tu sais-bien, un râteau à feuilles ... "
J'ai acheté l'outil, (made in England ! ) ... Un râteau bien innocent, ma foi, avec de longs doigts métalliques souples. Le manche, en bois, était vendu séparémént. _ Nous venons de nous installer dans notre nouvelle maison, il faut le dire. Avant notre installation, un jardinier a tondu les pelouses, qui en avaient bien besoin !
... Quoi de plus naturel : ..." Achète-moi un râteau !" - Ma femme, c'est elle qui reste à la maison pendant toute une journée pendant que je suis au bureau ... Elle a bien le droit d'avoir un jardin propre ! ... Passent quelques jours. Je n'ai toujours pas emmanché le râteau ... Je vais l'emmancher un de ces jours ... Il faudra pour cela que je taille le manche en pointe ...
_" Tu vois, le voisin, il a une débroussailleuse" ...
_ Je suis fait !
_ Le voisin me montre sa débroussailleuse : J'admire ! _ Un bel engin ! Il est peint en rouge. Il coupe l'herbe avec un fil de nylon monté sur une tête rotative ... Couper l'herbe avec un fil de nylon, il fallait l'inventer !
_ " Regardez comme c'est pratique : Vous passez la tête dans le harnais... " _ Le harnais ! _ _ Vous avez vu une mule reculer au moment où le muletier lui présente le collier ?
_ trop tard !
_ Une courroie par-dessus l'épaule gauche ... Il reste encore deux courroies : " Vous passez l'une ici, l'autre là ... Vous réglez les boucles" ... Je suis harnaché ! ...
" Ca marche bien, n'est-ce pas ? ... Et, de toute façon, avec les creux et les bosses, avec les pentes et les cailloux de votre terrain, il n'y a que cet engin qui puisse passer sur vos pelouses. "










_ " J'ai offert une débroussailleuse à mon mari ! "
_ Ah ! Cela a été vite fait ! C'était un samedi matin. Nous sommes allés en ville : Les magasins étaient ouverts.
Le dimanche après-midi, j'avais des ampoules plein les mains : J'avais passé la débroussailleuse ! ... Je n'avais pas fini, d'ailleurs : Je n'avais tondu qu'un tiers de la pelouse. _ Certes, j'aurais pu en faire un peu plus, je l'avoue : J'exagèrerais si je racontais que j'y ai passé tout mon samedi après-midi et tout mon dimanche matin ...


Et la mer qui est là, juste par-delà le rideau des canneliers ! _ La mer que je ne vois pas mais qui palpite si proche, et que je sais si brillante, bordée de sable blanc ...
A midi juste, le dimanche, j'arrête ma débroussailleuse pour déjeuner... C'est précisément à ce moment que le voisin met sa propre débroussailleuse en route ! _ Cela durera jusqu'à trois heures, ou presque...
J'ai emmanché le râteau. J'ai râtissé l'herbe coupée.


_ " Tu veux des sacs, pour ramasser l'herbe et l'emporter ?


_ Seuls les pigeons et les tourterelles, dans cette histoire, ont trouvé à tout cela quelque bénéfice: arpentant le terrain en hochant la tête, marchant au pas de parade ( de l'armée anglaise ... ) sur les pelouses tondues ...




_ Vous avez remarqué ?
_ " Achète-moi un râteau ... "
_ " J'ai offert une débroussailleuse à mon mari ... "
































LES TOURISTES










Les voyageurs du dix-neuvième siècle écrivaient : _ " Dans ces pays, il fait si chaud, et l'humidité est si importante, que tout travail est interdit aux Européens ..."




Je vous aime, gens des pays du Nord, gens des ateliers, gens des bureaux et des hangars, aiguilleurs des métaux, des tissus et des grains. Je vous aime, expéditeurs, transitaires, vendeurs d'endives et d'asperges, en gros et en détail ...
L'endive est le bourgeon de la chicorée, dite de Bruxelles. Elle est obtenue par forçage à l'obscurité, sous couverture de paille et de terre meuble ... A l'extrémité du circuit commercial, on trouve les chicons bien alignés, bien serrés, en caissettes de bois blanc, inclinées ouvertes sur les éventaires, à l'entrée des boutiques, en hiver, à Londres ou à Paris. Elles voyagent en containers réfrigérés.


_ " Par ici, Messieurs-Dames, le minibus de l'hôtel vous attend à la sortie. _" Je vous aime, gens des pays du Nord, alignés sur les sables de la plage, venus d'Angleterre, de France et de Germanie : Les chaises-barquettes sont en fibres de verre. Elles sont toutes inclinées, pareillement, vers la mer, vers l'île du Nord, et vers l'île Silhouette. Mais le galbe de l'endive, et si lisse sa peau !


_ Jean-Jacques, appliqué, passe de l'huile sur le dos de Germaine ... Aux jours du voyage de noces en Italie, elle était si svelte, Germaine ! ... Croupe hottentote, vergetures et cellulite ... L'huile luisante sent la bergamote. Gens des pays du Nord, aux larges faces et aux tons de tomates mûres ...






_ " Jean-Jacques, mets ta casquette : Le soleil ne te réussit pas, tu le sais bien ... Tu te rappelles, l'an dernier au Maroc " ...
Et Jean-Jacques met sa casquette. ... Une semaine ... Une semaine seulement, pour oublier les impôts, les charges sociales, et la voisine de palier, "cette garce dont le chien pisse tous les jours devant la vitrine" ... Oublier un peu les gamins, et surtout l'aîné, "qui réussirait si bien ses études, s'il ne fréquentait pas cette fille". ...
Les mâles ont le ventre en carène de chaland. Ils marchent les jambes un peu raides, écartées.
Jean-Jacques se met à l'eau. Il avance un peu au-devant des vagues ... Il a gardé sa casquette et ses lunettes de soleil. Il a le regard perdu tout là-haut, là où un parachute bleu et blanc, portant slogan d'une banque britannique, promène un autre légume, pendu aux suspentes : L'ensemble est tiré par un canot à moteur.
_ " Chevauchez les vagues pour vingt roupies." _ Un deuxième canot tire un boudin pneumatique : Quatre personnes y tressautent en criant.


_" On mange trop, dans ces hôtels ..." sussure une dame : C'est celle dont la coiffure ressemble à un Saint-Honoré laqué, celle qui s'empiffrait tout à l'heure, devant le buffet, des petits fours à la crème...
_ Un couple jeune, allongé : Voyage de noces peut-être ... Un vieil oncle argenté qui vous veut du bien !


Les commerçants du Nord, semble-t-il, voyagent au début de leur vie professionnelle ... Juste assez sans doute pour apercevoir ce que l'on pourra s'offrir dans trente ans, quand on aura le teint bien blanchi derrière le tiroir-caisse. ... Je sais trop, gens du Nord, le calcul de vos heures de travail, vos soucis et vos papiers, dans vos loges à classeurs-en-aluminium-anodisé, ou dans vos tanières automatisées ... Je sais les embouteillages routiers, et je sais vos effondrements sur vos sommiers, bien longtemps après la tombée de la nuit ...










Parfois, quelques-uns parviennent à s'échapper pour une semaine au soleil, qu'ils paient à prix d'or : Une fois ici, une fois là, au gré des panneaux publicitaires.
La plupart, pour voyager, attendront que le gendre ait fait ses preuves ...








La cloche sonne à l'église voisine. La messe est finie . Des enfants noirs passent sur la plage, entre les corps vautrés : Robes et rubans roses, chemises blanches et pantalons longs... On songe à la Louisiane dans sa grande époque ... Demain, ils seront à l'école voisine ... On y apprend encore à chanter des cantiques, mais aussi à calculer et à lire : _ " Dans ces pays-là, il fait si chaud et l'humidité est si importante, que tout travail est impossible aux Européens ..."










































LE MISSIONNAIRE










Sternes, frégates et fous abondent ici. On voit aussi, dans les branchages, des cardinaux, tout de rouge habillés et, plus rares, des veuves et des perroquets noirs.
Les missionnaires, oiseaux de passage, ne font en général que de courts séjours aux Seychelles. Il en vient du monde entier. Suivant leur région d'origine, ils arrivent à des époques différentes, correspondant le plus souvent aux périodes de froid dans leurs zones de nidification. C'est donc successivement, par nationalités, et mandatés par leurs Ministères qu'il arrivent aux Seychelles, suivant la progression des hivers à travers les hémisphères : C'est pourquoi on ne les voit jamais en bandes, mais plutôt par individus isolés.


On reconnaît le missionnaire mâle à sa livrée, mais il y faut un oeil exercé et prompt : En effet, arrivant à l'aéroport, le missionnaire débarque en veston, chemise blanche et cravate ... Il ose parfois plier le veston sur son bras, le temps d'accomplir les formalités de douane et de police ... Car il fait chaud ici ... Il conserve la cravate ... Formalités accomplies, il émerge à l'air libre ... C'est là qu'il faut le saisir, et vite : Affaire de minutes, parfois de secondes ! Il s'arrête, un sac de voyage à la main ... L'autre main tient souvent un attaché-case. Il se fige . On peut remarquer qu'avant de sortir de l'aéroport, il a remis son veston. Sa tête pivote sur ses épaules: de droite et de gauche... Ses yeux inspectent les recoins, interrogent les visages... Le missionnaire a identifié ceux qui l'attendent : Voiture à coffre ouvert, chauffeur, un ou deux personnages officiels, plus parfois, c'est selon le rang du missionnaire et les craintes que sa mission inspire... Le missionnaire avance. On lui prend son sac ... Salutations en manière de parade ... Ceux qui l'accueillent sont en tenue légère .










En un clin d'oeil, le missionnaire accomplit sa mue, par mimétisme avec les accueillants : Elle le laissera semblable à eux : Plus de veston, plus de cravate ... C'est tout juste si on parviendra encore à l'identifier, grâce à son attaché-case .
Si vous arrivez trop tard pour l'avoir reconnu à son plumage initial, vous avez encore une chance de pouvoir le faire en observant ses comportements... Dès son arrivée, il s'inquiète de la façon et du lieu où il sera logé ... A partir de là, on peut distinguer deux espèces de missionnaires légèrement différentes : Il y a ceux qui s'inquiètent d'un hôtel confortable, situé en bord de mer, offrant la possibilité de consacrer le maximum de temps au repos et le minimum au travail qu'il faudra bien faire tout de même pour pouvoir rédiger son rapport de rentrée ... Souvent, ils sont surtout, à l'évidence, ravis d'échapper à l'emprise du nid conjugal.


Il y a ... Mais au fond, il s'agit d'une branche de la même espèce ... Ceux qui demandent eux-aussi, et pour les mêmes raisons, une chambre d'hôtel, mais, jugeant la prime de séjour insuffisante, ils insistent pour obtenir la chambre la moins coûteuse. Il est vrai que, de toute façon, les frais de mission ne vous sont versés qu'au retour ...


La seconde espèce englobe les missionnaires qui, dès leur arrivée, entretiennent tout le monde de leurs soucis personnels et financiers ... Assez souvent ils réussissent et trouvent quelqu'un, qu'ils n'avaient jamais rencontré au préalable, pour leur offrir l'hospitalité : Et puis, dans l'avenir, cela peut servir, un missionnaire ... Sait-on jamais ! Dans cette dernière catégorie, soyons justes, il arrive parfois que l'on trouve des gens qui se prennent au sérieux ... Et il y a même des missionnaires sérieux, véritablement ...












Malheureux hôtes cependant: Ils devront nourrir l'oiseau de passage, l'abreuver, l'héberger, le promener et le distraire ! Soyons justes encore : Il arrive que le missionnaire, revenu dans son pays natal, remercie par une carte-postale ... Une lettre,même, parfois ! Reconnaissons également qu'il se soumet aux rites, la plupart du temps : Avant de prendre l'avion, il invitera ses hôtes au restaurant ... Une fois.


Revenu chez lui, le missionnaire rédige donc l'inévitable rapport , plus ou moins long ...Duquel il ressort que, la mission ayant été riche, mais demeurant insuffisante, il faut en organiser bien vite une seconde ... Sans changer surtout de missionnaire ! _ Il est rare qu'il obtienne satisfaction, tant les listes sont longues, de petits amis à satisfaire ... Parfois, même, le rapport suggère que ... Tout irait beaucoup mieux si le missionnaire était lui-même affecté aux Seychelles pour un séjour de longue durée... Quitte à pousser un peu ceux qui sont déja là ... Pour se faire de la place ! Quant aux missionnaires-femmes ... Il y en a aussi, bien entendu, mais cela mériterait un autre chapitre !




N.B.( Il ne s'agit nullement de "Missionnaires" religieux, on l'aura compris, mais bien plutôt de fonctionnaires commissionnés par les"" Départements" ministériels... Par le Ministère français de la Coopération, par exemple.!)
































PRESENTATION DES ILES SEYCHELLES ou
... ici, la marmite a bouilli ...










_ " Chauffez du sucre ... D'abord il fond, puis il épaissit. Vous obtenez le sucre lissé, formant ruban à la cuillère. Ensuite, vous avez du sucre glacé, qui s'étale sur le marbre pour former du sucre candi. En poursuivant la cuisson, vous avez du sucre boulé, puis le cassé et le grand cassé : Les morceaux se rétreignent, puis se fendent au refroidissement. Si vous continuez à chauffer, vous avez du caramel, qui roussit puis brûle en charbon."


La marmite a bouilli ici, énorme : Un continent la renversa en basculant. Vapeurs et fumées : Le Dragon et Lucifer vaincus... Ou vainqueurs ? _ Saint-Georges et sa lance ... Saint-Michel et son épée ... Neptune et son trident ... Jupiter et sa foudre ! ... Forces de Titans et les mains du Créateur ...
Terribles poussées verticales. La roche cristallise, se rétreint et se fend ... Le magma monte des abîmes, gonfle, émerge, bouillonne ... Les eaux sifflent et fusent.


Ici, la roche semble neuve encore, de granit gris ou rose. Ici, tout un peuple de monstres à peau plissée, pétrifiés depuis des millénaires : Cachalots échoués au ras des vagues, soufflant des embruns, tortues éléphantines endormies parmi les canneliers, mastodontes couchés par troupeaux, le dos et les flancs ronds. Blocs descendus des pentes, arrêtés de guingois, là où la pâte a durci, en équilibre les uns sur les autres et défiant parfois les lois de la pesanteur. Le chaudron renversé, les mélasses ont gonflé en bulles, se sont épaissies, ont durci en croûtes, coulant encore un peu puis se figeant pour toujours.








A leurs coulées, on reconnaît des torons périfiés, des glacis, des étalements, des chutes et des tourbillons. De part et d'autre de leur marche, certaines ont rejeté en moraines des scories, des blocs brisés, d'énormes berlingots. Les glacis s'écoulent, et plongent sous la mer : La Genèse est là tout entière, visible encore ... Tandis que l'on fait glisser la barque au long du rivage, la vision devient plus fantastique encore, et plus étrange ... Blocs gris, cannelés, fendus parfois,et marqués de signes ... Boules, obélisques, prismes jaillis d'un seul bloc comme de terrifiants doigts de justice. On peut y voir aussi toute une pâtisserie à l'échelle de géants : Charlottes, pains, brioches.




... Blanc sur vert tendre, le sable borde les eaux. La plage est passementée de palmiers. Des lianes de vanille serpentent aux rochers. Des buissons s'accrochent en des endroits invraissemblables : Ils vivent sans terre dans ce monde minéral, forment autant de bonsaï naturels, portant feuilles ou aiguilles. Ils sont nés là, dans les anfractuosités. Ils survivent on ne sait comment ... Un vacoa est en vigie en haut de la falaise, juché sur ses multiples pieds. Il voisine avec des agaves aux lames acérées. A la saignée des torrents, les arbres deviennent plus hauts, les falcatas étalent leurs larges frondaisons. Au bout du compte, les toits des maisons des hommes sont rares. Seule la roche est vraie en ses arêtes, en ses volumes, en ses chaussées, en ses éboulis et ses entassements. Comme des cerfs-volants tout blancs, les paille-en-queue ... Un, d'abord, puis deux, portés en haut des murailles par les courants ascendants ...








N.B. ( ces hypothèses sont , d'après les Géologues, complètement


fausses ... Il n'empêche ... Elles relèvent du domaine de la


sensation,...)


















LA GRANDE DIPLOMATIE












Dix sept nations, ( Faudrait-il les citer toutes ? ), entretiennent aux Seychelles une représentation diplomatique ou consulaire. Citons-les donc, pour ne pas faire de mystère ... Au risque de créer des surprises ... La Chine, ("populaire"...), les Etats-Unis, ( "d'Amérique"...), L'Allemagne, ( On précise encore: l'Allemagne de l'Ouest ... ), le Royaume-Uni, ( de Grande- Bretagne ... ), la France, l'Union-Soviétique, ( elle existe encore ... ), l'Inde, mais aussi les Pays-Bas, la Belgique, Cuba, Chypre, Madagascar, l'île Maurice, la Norvège, la Suisse, la Suède, et ... Monaco : Le compte y est ! _ Qu'est-ce qui fait donc courir tout ce monde vers les Seychelles, poussières de l'Océan-Indien, étirées de Madagascar à l'équateur, et constituées en République à parti unique ?


Les plages y sont belles . Le ciel y est souvent bleu. Les cyclones et les ouragans sont inconnus sur les îles principales ... Il est pourtant difficile d'imaginer que tous ces postes ont été créés ... pour diplomates au repos ! On veut bien croire en l'intérêt stratégique de ces archipels, et l'on comprend également les représentations des états voisins ... Mais Monaco ? _ Faut-il imaginer un lien avec le tourisme et avec les deux casinos qui fonctionnent à Mahé ? _(Accès autorisé uniquement aux porteurs d'un passeport étranger ... )... On veut bien comprendre la présence de la Grande-Bretagne, dernière puissance coloniale, ( dont l'Ambassadeur se balade dans une vieille Jaguar encore assez reluisante ...) _ On veut bien comprendre encore la présence de la France, qui précéda la Grande-Bretagne dans le rôle, et qui veut toujours espérer retrouver son influence grâce à la proximité de son département réunionnais ... Les Etats-Unis occupent ,en haut d'une falaise, une station de "suivi" de leurs satellites ... Quant aux autres ...












On rencontre de plus en plus souvent les Belges en-dehors de chez eux : Ils doivent s'y sentir à l'étroit ... Les Pays_Bas ont un passé brillant, mais lointain dans cet océan. ... Il est difficile, pourtant, de comprendre pourquoi tant de nations se pressent ici, rivalisent de capitaux et d'accords de coopération ... Ce n'est certes pas pour les tortues éléphantines, devenues rares, ni pour les "cocos-fesses" depuis très longtemps dévaluées ... Ce qui est évident, par contre, ce sont les bénéfices que ce petit pays retire de ses courtisans : Depuis quelques années, cette république a développé des structures et des équipements remarquables. On commence à hésiter, dans les chancelleries, à parler à son sujet de "pays en voie de développement" : Le revenu est à quelque chose près le même que celui du Portugal.


Les Seychellois s'occupent à leurs travaux, sont assidus à leurs églises, ( catholique, surtout ), ont installé et entretiennent un bon réseau routier, des services publics d'autobus efficaces et bon marché. Le service médical est gratuit et couvre l'ensemble du pays; les enfants sont tous scolarisés gratuitement. On remblaie des lagons pour en faire des polders, des aérodromes et des stades ... Des logements neufs, élégants, poussent partout au bord des chemins ... Les hôtels internationaux drainent une clientèle qui débarque régulièrement des "jumbo-jets". Les droits de pêche sont concédés à prix d'or aux Français, aux Portugais et aux Coréens : Une usine traite le thon, que les senneurs apportent, ( Pourvu que cela dure ! ) ... Tout Seychellois, quelle qu'ait été sa carrière professionnelle, reçoit une pension de retraite égale à celle de ses voisins de sa génération ... Mais comment imaginer que l'hôtellerie et la pêche pourraient suffire à alimenter et maintenir ce développement ? _ Il y a bien les banques internationales, dont l'implantation est favorisée ... Tout cela ne suffit pas, et ce n'est pas le coprah qui peut apporter le complément nécessaire ...












Ce complément, c'est l'aide internationale qui l'apporte : Chacun s'y empresse et les pays les plus différents y font surenchère : Aujourd'hui, c'est la France qui apporte un million sept cent mille francs pour réparer la jetée ... Hier, c'était la Belgique qui proposait je ne sais plus combien, pour je ne sais plus quelle raison ... Avant-hier c'était la Grande-Bretagne : Il n'y a qu'a laisser monter les enchères, semble-t-il.
Les médecins sont allemands, français, indiens ... Les enseignants sont Mauriciens, Anglais, Guinéens, Malgaches, Algériens ... Les techniciens ...


Demain, ils seront tous seychellois sans doute, lorsqu'ils reviendront des formations financées pour eux à l'étranger : Il y a beaucoup d'étudiants à l'étranger ... Ils reviendront ... Peut-être ... Car beaucoup ont la tentation de rester dans le pays qui les a formés, ou dans un autre ...




Intérêts divers, motivations complexes, mosaïques de donateurs ... La coopération internationale présente deux caractéristiques essentielles :


_ Elle n'est pas vraiment une coopération, puisque, en dehors des droits de pêche, il n'y a rien ici à acheter ni à vendre ... Or coopérer devrait signifier échanger des services.


_ Elle n'est pas internationale, puisqu'il n'y a aucune concertation entre les nations donatrices, bien au contraire : _ Quand on peut se faire une cachoterie, on se la fait. Quand on peut se faire des croche-pieds, on ne les manque pas !


_ C'est une foire à l'envers : A celui qui offrira le plus : Même le "Parti Communiste Soviétique", ( Qui doit pourtant avoir d'autres chats à fouetter en ce moment ! ), offre au" Parti _ Frère" de l'argent, du ciment, et des tuyaux de fonte ... Et Cuba ? ... Que propose Cuba ? _ Des arbres à planter le long des routes !










Quand on a l'impression que la manne diminue, la République Seychelloise envoie un de ses Ministres en tournée : Ministre de charme, de préférence _ Madame Danièle de Saint-Jorre, ( de la famille des Jorre de Saint-Jorre ), a beaucoup d'allure, porte très bien la toilette, et offre de très beaux sourires ... C'est avec ce même sourire qu'elle se déclare "inquiète des évènements en Europe de l'Est" : _ Et si les crédits allaient s'orienter par-là au lieu de venir aux Seychelles ?
En fait, vous l'avez compris : Pour chacun des pays donateurs, cela ne coûte pas bien cher d'aider ce tout petit pays ... Par contre, ce " tout-petit-pays", il a une voix aux Nations-Unies ... Tout autant que les pays les plus gros ! _ Là se trouve sans aucun doute l'explication !












































TRADITIONS FRANCO-FRANCAISES










On songe au décor d'une vitrine de Noël, bien propre, bien rangée, colorée ... De celles qui font rêver les passants ... La mer, un tantinet trop bleue, un tantinet trop calme ... La plage, un peu trop blonde.
A quai, en pleine ville, il y a deux bateaux gris, pavoisés. La montagne sert d'arrière-plan : Elle est trop verte, couverte de falcatas et de canneliers, ou encore de mahoganis ... Granits gris, granits roses, fleurs, bananiers, disposés trop sagement.
La route serpente, étroite. Des voitures découvertes, rouges, jaunes ou bleues, montent et descendent, se doublent et se croisent. Dans ces voitures, il y a des petits matelots tout neufs, avec des appareils photos pendus à leur cou, chemises blanches et pompons rouges. Le tout est bien net, comme lavé par la dernière pluie... Les toits luisent, et les feuilles, et la route.
Les marins sont ceux du "Rhin" et ceux du "Doudard de Lagrée". Ces deux navires en escale "de représentation" sont basés à Djibouti. Ce sont deux "navires-ateliers". Ils remontent vers le Nord, après avoir assuré l'entretien des navire stationnaires de la Réunion. Ils sont passés à Mayote et à Maurice. A Victoria, les équipages sont en "semi-détente" : Le matin, ils assurent l'entretien du "Topaze", le vieux dragueur Seychellois d'origine française. L'escale durera quatre jours. Les après-midi, on fait le tour de l'île en voitures de location, ou bien on se répand sur les plages ... Deux mois plus tôt, avec le même programme, sont passés le"Protet" et le "Jules Verne".










La tradition veut que, chaque fois, l'ambassade envoie à tous les membres de la communauté française des cartons dorés sur tranche :


" _ Le Capitaine de Vaisseau X, commandant le Navire_atelier Y, prie monsieur Z et Madame, de lui faire l'honneur de leur présence pour un cocktail à bord, le ... à dix huit heures trente".


Belles majuscules. Les lettres d'imprimerie sont splendides ... Monsieur et Madame sont très honorés : La République s'apprête à les recevoir ... Sur les vaisseaux de la Royale ! _ Et qu'importe s'il ne s'agit que de navires-ateliers : Il y a tout de même un Amiral à bord, parfois !




L' Ambassadeur et Madame, Les Ambassadeurs des autres nations représentées, le Chef de la mission de Coopération française, une trentaine de coopérants français : techniciens et enseignants ... avec leurs dames ... Il y a aussi tous les Français tenant commerce ou siégeant dans les bureaux. Les notables du pays, dûment invités, ne sont guère représentés : Sans doute y aurait-il là matière à réflexion ... Mais, au fond, qui s'en soucie ?
Officiers à la coupée, tout de blanc vêtus, et galonnés. Coups de sifflet comme au temps de la marine à voiles : Monsieur l'Ambassadeur de France et Madame montent à bord : Madame est en noir, coiffure en vol-au-vent couleur aile-de-corbeau... Madame chancelle, se rattrape à la lisse : L'échelle de coupée n'a pas été étudiée pour les talons hauts ... Impassible, le Commandant salue.
Nouveau coup de sifflet : C'est pour le Haut-Commissaire britannique, ( "Haut-Commissaire", pas "Ambassadeur":... Ceci pour marquer que les Seychelles appartiennent au Commonwelth et que la Reine de Grande-Bretagne est ici chez elle. )












Sifflet de nouveau, pour Monsieur l'Ambassadeur de l'Inde et Madame, drapée dans un sari vert... Les autres invités n'ont pas droit au sifflet ... Mais Monsieur l'Agent Consulaire les présente au Commandant, dès qu'ils ont mis le pied sur le pont :
_ " Monsieur X, Ingénieur à l'O.R.S.T.O.M. et Madame."
Le pont du bateau a lui-même l'aspect d'une vitrine, toute propre, luisante et pavoisée de toutes les couleurs. Une longue table y est dressée, garnie de verres pleins de liquides jaunes, roses, orange, ou verts. Des groupes se forment, s'agglutinent ... Chacun a son verre à la main. Les alcools sont servis par les matelots : Le whisky à la bouteille, le punch à la louche, comme il se doit. L'équipage offre des petits-fours sur des plateaux.
_ " Champagne ! C'est la République qui régale ! " Les officiers- Mariniers sont de service : L'un d'eux courtise une jeune institutrice aux yeux clairs. Elle le contraindra à aller chercher son sabre pour ... sabrer la bouteille de Champagne ! ... Comment et où cela se terminera-t-il ?
_ " Et cela marche à chaque fois, dit-elle, épanouie. "
Mais tous les Officiers et officiers-Mariniers s'acquittent fort bien de leur mission : Nul invité n'est laissé à l'écart. Reconnaissons qu'ils font cela avec aisance :
_"La "Chevalerie française,Monsieur "...
Certains; même, y prennent peut-être du plaisir ... parlant de tout et de rien ... Comme il convient !
_ " Combien d'hommes à bord ? "
_ La question est rituelle, inévitable ... Cette fois-ci, il y en a trois cents.
_ " Et l'armement ? " ... Pas de chance : Un navire-atelier est presque désarmé.
_ " La plate-forme pour hélicoptère ? "
_ " Oui, nous pouvons en loger un dans le hangar". "












_ " Et Djibouti, c'est comment ?"
_ " Chaud. "
_" Connaissez-vous Z ? C'est mon cousin : Il est embarqué à Toulon."
_ Réponses appliquées, bienveillantes ... Mais on entend aussi un midship répondre :
_"Vous savez, moi, la Marine, je ne suis pas marié avec elle : Encore six mois, et puis je me tire ! "
Le médecin du bord cherche un confrère civil. Une jeune visiteuse cherche le Commissaire :
"_ Avez-vous vu le Commissaire ? C'est pour savoir si l'on vend des parfums à la coopérative de l'équipage ..."
_ Bien sûr, on en vend, et puis on vend aussi des carrés de chez Hermès ..
Un civil, pansu, arbore une lourde chaîne d'or autour du cou. Au majeur brille une grosse chevalière du même métal :
_ " Je veux acheter une plaque de bouche pour ma collection, avez-vous des plaques de bouche ? "
Il est patron de bistrot à Victoria. C'est un ancien marin ... Du moins, il le dit ... Tatouages sur les bras comme preuves à l'appui, bien visibles.
Monsieur l'Agent Consulaire est très affairé : Il lui manque une jeune-femme pour composer la table du Commandant. Il s'adresse à l'institutrice qui faisait sabrer le Champagne tout à l'heure _ Sa voisine, jeune agrégée à chignon s'offusque de ce choix .












Traditions ... Traditions ! Le Commandant d'une Corvette ou d'un vaisseau de haut-bord, autrefois, ayant fait carguer les voiles, recevait à son bord une communauté nationale qui n'avait guère d'autres occasions de voir flotter son drapeau et d'entendre parler sa langue.
Le bateau en escale représentait la mère-Patrie. Mais, de nos jours, Mahé reçoit chaque jour plusieurs avions longs-courriers, en provenance de Londres, Paris, Francfort, Rome ou Singapour ... Chaque avion débarque ou rembarque son flot de touristes à chapeaux de toile et à chemises bariolées. Est-ce à cause de cet anachronisme que les conversations, aux escales des bateaux, sont si creuses, si vides ?






Quelques jours plus tard ...chez certaines jeunes-femmes sans maris, on peut reconnaître un bibelot sur un meuble ... Une jolie "rose des sables" venant de Somalie ... Hommage du marin passant ... Ah ! Les escales ! ...














































LA VISITE DU PRESIDENT FRANCOIS MITTERRAND.














Le Président de la République Française est un petit homme très vieux. Il s'extrait avec difficulté de la voiture qui l'amène de l'aéroport.
Il est dix sept heures trente. Huit à dix voitures. Un essaim d'importants personnages qui s'empressent. On reconnaît Roland Dumas à sa crinière. Il est plus vieux qu'on ne croyait. Il a des pellicules sur le col.


_" Ma parole, il a acheté son costume chez Tati ! "


Son pantalon est tout frippé, celui du Président aussi. Danielle Mitterand : Très droite, impeccable tailleur bleu ... Pourquoi les hommes n'on-ils pas trouvé le temps de se changer avant de quitter l'avion ? Madame Mitterand paraît moins crispée que sur les photos habituelles... Combien de " lifting ", pourtant, pour une peau qui semble aussi étirée ? Le Président marche avec les pieds en-dehors, un peu ...


_"Eh! _ Vous semblez ne l'aimer guère ! "
_ "Là n'est pas la question ! "
_ " Dieu qu'il paraît vieux !" ... "
_ Quel âge au fait ? ... Soixante quatorze ? Soixante dix huit ? "








Le crâne est dégarni, mais ce qui frappe, ce sont les joues creuses, les pommettes saillantes, le teint jaunâtre, cireux ... Pardonnez ma pensée : On songe à un masque mortuaire ... D'autant que les lèvres sont minces et serrées, les paupières mi-closes : Il est bien tel que nous l'ont fait connaître les caricaturistes mieux que les photographes : Le Sphinx momifié !


Le Président est arrivé aux Seychelles en Concorde : L'avion a attiré une grande curiosité. Il y a des drapeaux en haut des mâts, le long des avenues, jaunes, verts ou rouges :Ils sont restés en place depuis la semaine dernière : On les avait sortis pour la fête nationale . Depuis ce matin, on leur a ajouté quelques drapeaux français.


_" Le Président Miterrand est un grand président, me dit un Seychellois : Nous sommes très honorés qu'il ait commencé son périple dans l'Océan Indien par notre pays. "


Une soirée . Un court entretien avec le Chef de l'Etat local. Un repas au restaurant, au cours duquel seront portés des toasts. Bien entendu, on présentera un certain nombre de demandes : Il est vrai que, depuis l'hiver dernier, les Seychellois ont très peur que l'aide occidentale ne se dirige plutôt vers les pays de l'Est ...


_ " Nous sommes très honorés, poursuivait mon interlocuteur ... Et nous attendons beaucoup de cette visite ... "


Déclaration du Président de la République Française, après les toasts :
_" Des questions nous ont été posées, qui attendent réponses ... A certaines, il a déja été répondu. D'autres ont reçu un début de réponse ... Il y a des questions auxquelles les réponses restent à donner ... Et puis, celles auxquelles il ne sera pas répondu ... " _ Bel exercice de style : Démosthène, où est ton caillou ?








Au sortir de sa voiture, le Président à le col de sa chemise ouvert : On distingue les fanons de son cou . Une couronne de fleurs lui est tendue . Il fait trois pas . Il la dépose au pied du monument du " Zonm Lib " ( _ vous avez certainement pu traduire sans qu'on le fasse pour vous : C'est du Créole ! ) ... Malgré son impassibilité, le Président semble marquer une hésitation :
_" Monument fait de vieilles boîtes de thon soudées les unes aux autres. "
_ Réflexion saugrenue d'un Français - Coopérant. ... Le monument est en tôle d'acier, peinte avec du minium gris . Il représente un esclave debout, brisant ses chaînes... Il est vrai que la conserverie n'est pas loin...
Les ressortissants français sont regroupés tout autour du monument, derrière une rangée de miliciens chamarrés qui lèvent la patte et tapent du pied comme à Sandhurst pour la parade ! ... Des appareils photographiques sont brandis... La cérémonie est achevée en moins de cinq minutes ... Juste le temps de repérer les " gorilles " dont les vestons sombres cachent mal les holsters : Eux seuls portent cravate et certains ont un écouteur vissé dans l'oreille.


Une soirée, donc ...Un dîner officiel, puis une matinée à Praslin, l'île voisine, célèbre par sa " Vallée-de-Mai " , classée par l'U.N.E.S.C.O. au titre du patrimoine de l'humanité : C'est là que poussent les "cocos-de-mer". "Tonton" y admire, perplexe, les noix-doubles dites "cocos-fesses", puis les inflorescences des cocotiers mâles ... Rêveur, Tonton ?
... Retour à Mahé, puis départ pour l'île Maurice.


_ " Sa suite comprenait trois cent quarante personnes : C'est le Roi-Soleil ! "
_ " Concorde était-il bien l'avion qu'il fallait ? ... Il n'y avait même pas la distance nécessaire pour prendre de l'altitude, entre Mahé et Maurice ... "








Avant le décollage, les membres de la communauté française ont été reçus à l'Hôtel Méridien pour un cocktail ... C'était la moindre des choses !


_ " Le Président de la République Française a demandé à Monsieur Roland Dumas, Ministre d'Etat, Ministre des Affaires Etrangères, de le représenter. "


Bon... Nous avons eu Roland Dumas ... Et des petit-fours.
_ Mais au fait, il n'y a guère ... Au temps "de la cohabitation ...Les Ministres appartenaient au Gouvernement ... Ils n'étaient pas les "Ministres du Président ! "


_ "Il est bien sympathique, cet homme-là." C'est de Roland Dumas que l'on parle.
_ " Peut-être, mais il a le cheveu gras ! "
_ "Il aurait pu faire autrement que de nous plaquer aussi vite, pour aller prendre un bain à la sauvette."






La visite est terminée.










































HOMMAGE A SAINT- FRANCOIS D'ASSISE ...








On se passe très facilement de télévison ... On prend alors le temps, ... de voir les choses! _ A la branche d'un arbre j'ai suspendu une bassine bleue. Le vent la balance ... J'en ai rempli le fond en y versant des grains de riz... A l'heure où les postes de tévision s'allument, c'est à dire vers six heures ... Un peu avant, un peu après ... l'arbre se garnit d'oiseaux.
Ma bassine en est pleine. Ce sont des cardinaux ... Du moins je les appelle ainsi à cause de leur couleur. Ici, on les nomme " ti-s'rins ", comme on parle d'un "ti-punch" aux Antilles. Mais ce sont bien des cardinaux .
Les femelles ont des couleurs un peu fades : Elles ressemblent à des moineaux d'Europe, mais elles sont plus fines, avec des tons de vert. Elles plongent tout au fond de ma bassine qui oscille. Parfois, elles relèvent la tête pour surveiller les environs. Mais, que surveillent-elles au juste ? Ma présence, à quelques pas, ne les dérange guère ...
Et puis voici venir les mâles. Ils descendent toujours un peu plus tard ... Ils ont la poitrine et la tête d'un rouge éclatant, presque lumineux. Leurs ailes sont finement rayées. Leurs joues sont maquillées d'un noir velouté. Certains portent gilet orange, plutôt qu'écarlate ou pourpre. Quelques-uns, rares, sont vraiment jaunes comme des canaris.... S'agit-il de mutants, ou de jeunes mâles aux couleurs encore non-accomplies ? _ Allez le savoir !


Combien y en a-t-il maintenant, dans ma bassine qui tourne au bout de son fil ? _ Quatre ou cinq douzaines , _ Plus ?










Je ne sais lequel d'entre eux donne un signal ... Qui a eu peur ? Et de quoi ?_ Froissement d'ailes multiples : tout le monde est parti, en une unique gerbe . Les uns se trouvent maintenant dans les hautes branches, et mon arbre en est tout illuminé. Les autres ... O ! Pas bien loin ! _ Ils sont dans les canneliers.


Sur le gazon, sous la bassine, les tourterelles piètent, hochant la tête et la queue. Elles picorent les grains qui sont tombés. Elles sont grosses à peine comme trois bouchons. Leur jabot est bleu et mordoré. Elles vont par deux ou par quatre. En dehors de leurs heures de repas, nous les entendons, de je ne sais où, jouer de leurs flûtes haletantes et plaintives.


_ Que voudriez-vous faire de la télévision ?
_ Voudriez-vous regarder " Les Animaux du Monde ?"
_ Connaisez-vous rien de plus beau ?
_ Chaque soir, autour de ma bassine bleue : Un bouquet d'anémones qui se poserait, se regrouperait, puis s'envolerait avec un bruit de soie ...








L'hebdomadaire auquel je suis abonné m'apporte les nouvelles du monde : Elles sont décantées, dédramatisées, car déja anciennes de quelques jours. Cela convient à mon besoin de calme. La seule chose que j'attends, ce sont les lettres de mes enfants ... Avec l'espoir de lire un jour que tout va bien.












Lorsque nous songeons trop à eux, nous descendons à la plage : L'eau y est si claire, si tiède ...


Les poissons forment d'autre corolles, d'autres bouquets. Ils sont si nombreux et si familiers !
A la surface, tout près du bord, dans un rien d'épaisseur d'eau, accourent de petites carangues qui font le carrousel en jetant des éclairs d'argent. On les attire en émiettant un morceau de pain. On peut les saisir en relevant vivement les mains.


_ Ah ! remettez-les donc bien vite à l'eau !






_ Voici le soir venu, d'un seul coup. Cachés, les oiseaux sont muets ... Sans aucun bruit passent une ou deux chauves-souris aux larges ailes : Elles vont aller, dans les manguiers, se régaler de fruits bien mûrs.










Voici venue l'heure de se perdre dans la voie lactée ... Et de rêver le bonheur pour tous ceux qui vous sont chers .








































LA QUESTION LINGUISTIQUE












_ ( Oh ! Ne raillez pas la langue créole ... Combien les latins ont-ils dû railler le Français ! )






Il peut paraître étonnant que la langue française perdure aux îles Seychelles. Certes, elle n'est pas parlée dans les rues. Certes, la librairie de Victoria propose peu de livres qui ne soient écrits en Anglais. Dans les rues de Victoria, on parle Créole. Quand on lit, on lit en Anglais. La radio et la télévision, cependant, présentent certains programmes en Français. Le journal unique, ( quotidien et distribué gratuitement ), comprend des articles rédigés dans les trois langues.
Certains spéculent et causent, mesurant en permanence l'évolution prétendue de la place réservée à chacune des trois langues : Jalousement, à la ligne près ... à la minute près...
Le Centre Culturel américain propose des activités en Anglais, le "British Council" également. Le Centre Culturel Français parvient encore, d'une façon ou d'une autre, à trouver des amateurs pour sa bibliothèque et pour les spectacles qu'il organise : Il y met du sien et l'on raconte que, pour cela, il fait distribuer des billets d'entrée gratuits... Par l'intermédiaire du "Parti Seychellois"... Il offrirait même les places d'autobus gratuitement ?








Depuis mille neuf cent quatre vingt un, dans les écoles, l'enseignement débute en langue créole : Les enfants apprennent à lire dans leur langue maternelle, (Ils y gagnent certainement en aisance ... ). Très tôt, on enseigne l'Anglais puis, dès la cinquième année d'école primaire, la langue anglaise devient le vecteur de toutes les disciplines académiques : L'accés aux technologies nécessite en effet l'utilisation d'une langue à large audience, ouvrant la possibilité de consulter des documents en nombre suffisant.
L'enseignement du Français est introduit en quatrième année, mais il n'obtiendra jamais le statut de langue d'enseignement.
Après quelques année de fonctionnement, on s'aperçut qu'en fait, l'Anglais souffrait de son propre statut : Lorsqu'il prend en charge les autres matières, et particulièrement celles qui relèvent des domaines scientifiques, il n'a pas eu le temps de mettre en place le vocabulaire et la structuration indispensables : Les concepts de base ont été installés en langue créole ... L'Anglais en souffre, la progression des acquisitions aussi.




Le Français, lui, souffre de l'absence complète de statut : Il ne sert à rien : On apprend à le parler, mais on ne le parle pas. On le comprend, presque sans même l'avoir appris, tant le Créole lui est proche. On apprend à le lire, mais on le lit si peu ! Quant à l'écrire !
De plus, à cause même de sa proximité avec le Créole, il est difficile à apprendre, étant victime de toutes les contaminations et interférences possibles ... Imaginez un enfant qui passe d'une langue créole à graphie phonétique et syntaxe simplifiée à une langue française dont chacun connaît les pièges ... syntaxiques et orthographiques ! Le Français , en fait, est enseigné parce qu'il est la "langue-mère", d'où est sorti le Créole.












Nous fûmes longs , en France, avant d'évacuer l'enseignement du latin ( ... Pour autant que ce soit ce que l'on ait fait de mieux ...) : Dans un processus psychanalytique, il est bien diffcile de "tuer la mère" )... "Tuer le père" était plus facile : C'était le colonisateur ... Et puis, disent les Seychellois : _" Nous avons conservé le Français pendant les cent cinquante années de la colonisation britannique alors que notre pays n'a été français que pendant quarante ans. Pourquoi ne le conserverions nous plus maintenant ? "




_ En fait, les administrateurs britanniques ont fait peu pour imposer leur langue : La maîtrise des voies maritimes vers leur empire indien leur importait plus qu'une anglicisation et plus qu'un peuplement. Les Seychelles étaient catholiques ... Le Français était, et reste encore la langue liturgique principale, ( tout comme l'était en France le Latin, au temps de mon enfance...) _ La langue française a perduré grâce à Dieu !
Mais l'état de paix qui pouvait sembler régir l'utilisation des langues a disparu ... Point tant du fait des Seychellois que de celui des Français et des Britanniques ...
Tirant à leur façon les conclusions de faits observés ailleurs, dans leurs territoires et départements d'outre-mer, les Français se sont aperçus qu'il pouvait être politiquement utile de développer autour de la Réunion des voisinages amicaux ... Une communauté de langues pouvait y être favorable...
Lorsqu'on l'étudie, le Créole des Seychelles est plus proche du Français que celui des Antilles ... Il n'a pas semblé absurde d'espérer qu'en prenant appui sur le Créole, on pourrait donner un nouveau développement au Français. Certains semblent avoir pronostiqué l'accroissement de l'aire francophone aux Seychelles, au détriment de l'aire anglophone.






Le Créole, "langue-fille" pouvait-il engendrer sa "langue-mère" ? Le calcul n'est pas absurde : On voit très bien les difficultés de l'Anglais à l'école. Les Britanniques et les Seychellois l'ont senti : On a augmenté le nombre des bourses d'études dans les universités anglophones et on a décidé, de plus, que les futurs professeurs passeraient deux années à l'université du Sussex... Ne parle-t-on pas, même, de former là-bas les futurs professeurs ... de Français !


L'Ambassade, la Mission Culturelle, et le Ministère des Affaires Etrangères - français - s'activent ... Et font souvent des impairs ! Les étudiants Seychellois, boursiers de l'Etat français, sont envoyés à grands frais dans les universités de la Réunion, ou dans celles de Bordeaux, Paris, Aix - en Provence, Besançon, Nice, ou ... Trifouillis-les Oies ! Ils ne sont ni encadrés, ni préparés à ce qu'ils devront découvrir. On a vu, même, une étudiante partir ... Pour Clermont- Ferrand, je crois, afin d'y poursuivre des études de Français : Elle est revenue quelques années plus tard, ayant bénéficié d'une réorientation ... Nantie d'une maîtrise ... d' Anglais !


Pour l'heure présente, on réfléchit. Les Français ont peut-être fini par s'apercevoir que les études conduisant au Diplôme Universitaire d'Etudes Générales, ( D.E.U.G. ) n'étaient pas adaptées aux Seychellois . Ils vont sans doute proposer une formation spécifique ( Pour trois ou quatre étudiants par an, à l'Université de la Réunion. )
Les Seychellois, eux, méditent : Ils ont été échaudés par les échecs de plusieurs promotions aux épreuves du D.E.U.G. ... Et puis ils acceptent difficilement l'idée d'envoyer leurs étudiants à la Réunion alors que l'Angleterre leur propose des études en Europe ! D' où l'idée d'envoyer tout le monde dans le Sussex ... Si la France n'était pas le principal bailleur de fonds des Seychelles !










... Cette année, en attendant, aucun étudiant seychellois n'est parti en formation pour devenir professeur de Français. Le gouvernement seychellois recrute donc, de bric et de broc, pour enseigner le Français dans les écoles, des Guinéens, des Mauriciens, des Algériens ... Et des Malgaches qui, dès leur arrivée, font valoir leur double-nationalité pour bénéficier des allocations dispensées au bénéfice de leur famille ... Par la France !






Cependant, Monsieur l'Ambassadeur de France a bon espoir : Il a fait un rêve ! ... Sur la montagne, la France finance l'installation d'une antenne parabolique qui permettra de capter "Antenne 2" en direct et vingt quatre heures sur vingt quatre : Victoire de la langue française en perspective ! ... Peut-être, peut-être ... Suite au prochain numéro !












































LE " TRACKING " AMERICAIN
















A la crête de la montagne, deux boules blanches incongrues, tout en haut du chemin dit de "La Misère".
L'une est un peu plus petite que l'autre. Elles brillent toutes les deux, lisses. En les voyant, on ne peut songer qu'à des objets " venus d'un monde extérieur ", et posés là.
Elles se découpent sur fond de ciel, et de nuages passant. On n'y distingue pas une seule ouverture.
Un peu inquiétantes, elles surpassent les arbres les plus hauts, les plus touffus des albizias.


Conjurons nos craintes : _ On peut les prendre pour des balles de golf, échappées d'un "green" pour géants... On peut aussi les prendre pour des oeufs.
_ " Des oeufs de quel oiseau ? "
_ " Les oeufs de l'oiseau-Roc, qu'aperçut Marco-Polo ? "
_ " Les oeufs d'un énorme Dodo ?
_ " Ceux d'un satellite, bien sûr ! D'un satellite américain ... " Quand donc vont-ils éclore, incubés par le soleil, face à la mer, et que va-t-il en sortir ? "


J'ai vu, naguère, une boule identique, en Polynésie, dans l'île de Huahiné . Ce sont des stations de "tracking ", des observatoires ... Comment dire ? ... Des techniciens américains y sont installés : Ils suivent les satellites qui tournent autour de la terre. Ces stations sont toujours posées au plus près de l'équateur. On peut les imaginer bourrées d'électronique. _ Un peu inquiétant, tout de même ... Ce qui incube là, c'est, quoi qu'il en soit, le siècle qui vient, et le prochain millénaire ...


















OU EN SONT NOS RELATIONS ?
















Avec nos voisins, nos relations progressent. Jusqu'où iront-elles ?
Saint-François parlait aux oiseaux. Nous n'en sommes pas encore là, mais nous les nourrissons.
En rangs serrés, bruns, jaunes ou rouges, ils entrent maintenant dans la maison, jusqu'au- milieu du salon ! A peine une hésitation, et ... Un, puis deux, puis cent peut-être,( Je ne mens pas ...) Ils sautillent et glissent sur le revêtement du sol, trop lisse. Toujours vers cinq heures le soir, tous les soirs, picorant le riz que nous éparpillons à leur intention. Quelques-uns se groupent dans les rameaux de nos fleurs en pots, d'autres se perchent sur les bras des fauteuils.


Lorsque, par hasard, nous n'avons pas répandu le riz à temps, il y a réclamation ! Les revendications se font par groupes, aux alentours de la terrasse.
Dès que nous avons le dos tourné, à toute heure, il y en a bien un ou deux, par ailleurs, qui explorent la cuisine, à la recherche d'un improbable croûton ... Un froissement : Ils prennent la porte et s'en vont ! Quelques-uns manquent la sortie et vont se heurter aux moustiquaires des fenêtres . Nous devons les prendre à la main, (O! Ce petit coeur qui bat ! )... Pour les relâcher vers les canneliers. Ils reviennent aussitôt.


Mais il n'y a pas qu'eux ! _ Les margouillats et autres lézards verts domestiques viennent ...(Nous les avons surpris !)_ Lécher le fond des assiettes, dans notre évier ...
Ils se sauvent à notre arrivée : Jusqu'en haut des murs !














J'ai déja parlé des vols de poissons, (Oui... Des "vols" ... Comment s'exprimer autrement ? ) ... J'ai déja parlé des vols de poissons ... Ils se groupent, se dispersent et se regroupent autour de nous, comme les oiseaux de notre jardin. Avec eux aussi, nous sommes en progrès : Dès que nous entrons dans l'eau jusqu'à la taille, ils s'approchent : Il faut les comprendre ...
On m'avait dit _"Emiettez un morceau de pain... " Je l'ai fait. Maintenant, ce sont eux qui réclament, et j'en suis tout ébloui.
Cent oiseaux dans notre salon ? _ Mille poissons dans nos jambes, larges comme la main, couleur d'étain, d'argent, de mercure, ou bien de lumière ... Les nageoires et les queues ont des formes de faucilles ou de rubans ... Gloire de la mer !
_ Et si vous n'avez plus de pain, contentez-vous d'agiter les doigts : Ils virevoltent et viennent vous mordiller... Ils sont partis? _ Je n'y songe plus ... Je fais la planche, immobile à la surface : Ils viennent me sucer les pieds !
O ! _ Saint-François d'Assise - aux Fioretti de Gioto !




Il y a aussi des hérissons, ou tout au moins des animaux qui leur ressemblent, et que l'on appelle des tangs.
Ils fréquentent nos pelouses toutes les nuits, grognant, soufflant, couinant. Ils croquent les escargots dans leur coquille ... Et Dieu sait si les escargots sont gros dans ce pays !




_ Armes de chasse et armes sous_marines sont interdites ici : Ceci explique cela : Nous sommes vraiment dans un monde où les rapports sont autres.


























A LA CROISEE DES CHEMINS ...














Mille sept cent soixante dix vit arriver les premiers habitants de ces îles : C'était le prélude au massacre des sauriens et des tortues éléphantines.
Mille huit cent onze a paraphé l'acte de propriété reconnue aux Anglais.
Mille huit cent cinquante et un a vu débarquer le premier prêtre catholique.
Quelques évènements écrivent l'histoire des Seychelles. Ils sont, au bout du compte peu nombreux. Le dernier en date était l'inauguration de l'aéroport international : Il ouvrait ce pays au grand tourisme . L'argent arrivait avec lui et créait des emplois : Les Créoles chères à Toulet devenaient serveuses et femmes de ménage dans les hôtels.


Les cadres mis en place par l'Eglise, par l'école, et par "Le Parti" ont résisté, les structure sociales se sont assez bien maintenues jusqu'à maintenant... Bien sûr, il y a des débordements : Alcool, drogue et prostitution ... Mais on parvient encore à ne pas trop en entendre parler. On commence par contre à entendre parler plus souvent de vols et d'exactions ... Dans l'ensemble, pourtant, le paternalisme du Gouvernement maintient l'ordre et le calme, depuis plus de dix ans que la nation est indépendante.










Les touristes s'agglutinent sur les plages. Leurs séjours sont brefs. Ils se déplacent en autobus spéciaux ou en voitures de location : Tout cela ne gêne guère le train- train de la population ... L'influence des touristes sur le mode de vie et sur la façon de penser reste faible.




Tout le commerce est pris en main par l'Etat, ce qui évite l'inflation, cancer des sociétés de consommation.
L'Etat-Providence veille à tout : Personne n'est riche, mais personne ne manque du nécessaire. Tout au plus peut-on remarquer une absence de motivation inhérente à ce type de régime : _ Quels avantages retirerait- on de l'initiative et du
zèle ?
Mahé demeure une île encore, et le pays est une galaxie d'archipels minuscules ...
Pourtant, à la clepsydre du temps, l'heure hésite : Le liquide forme goutte, qui se retient et enfle avant de choir dans l'éprouvette graduée où se mesure l'histoire ...






Les Seychelles ayant donné leur accord, la France dresse une antenne parabolique sur le Mont-Louis. Depuis cette semaine, donc, la télévision seychelloise reçoit, par satellite interposé, les programmes parisiens. Jusqu'alors, les émissions étaient composées à partir de cassettes reçues de Londres ... Ce qui offrait l'avantage de permettre un contrôle parfait , dont les contenus étaient ... Disons, aseptisés. Mais le moyen de contrôler , douze heures par jour, des émissions diverses, franchissant en direct l'immensité des océans et des continents ? ... Le moyen de contrôler les mélanges de cultures et de valeurs ? ... Le moyen de freiner les appétits ?






Les évènements extérieurs, tout récents, ont démontré en d'autres pays le pouvoir des images : Les idéologies n'y résistent pas. La société seychelloise se montrera-t-elle capable de tenir tête ? ... Douze heures d'émissions en langue française chaque jour ... Quel bouleversement, alors que cette langue était réduite depuis des années à la portion congrue !








Crainte des Seychellois et des Britanniques - Espoir des Français ... Maurice et la Réunion recevant les mêmes émissions, verrons-nous la résurection de " L'Océan-des-Français ", que l'on croyait pourtant bien avoir démantelé en envoyant Napoléon en exil ?
N'y aurait-il plus d'îles sur notre planète ?
Les Seychellois voient s'installer le doute. Pour le moment, la perplexité dominant, les émissions françaises sont enregistrées sur cassettes et ... rangées dans les tiroirs !
_ La télévision seychelloise continue à diffuser des fadaises ... En Anglais !








Il ne nous appartient de nous prononcer ni en matière de politique, ni en matière d'éthique ... La question n'est que de savoir si, au bec de la clepsydre, on peut empêcher pendant longtemps la goutte de tomber : Pour l'heure, elle tremblote.






















LETTRE A UN TOURISTE FRANCAIS ...














Monsieur,




Je voudrais répondre modestement à votre lettre, publiée par le quotidien seychellois, ' La Nation ", du vingt et un avril dernier.
Un Seychellois serait plus autorisé que moi pour vous répondre. Je prends néanmoins cette liberté.




Vous avez aprécié, dites-vous, l'accueil que l'on vous a réservé à l'île Maurice, tant à l'aéroport que dans les hôtels et les magasins ... Je ne connais pas encore l'île Maurice et je ne suis aux Seychelles que pour y travailler.
Vous dites que vous souhaitez retourner à l'ancienne " Ile de France " : Je formule le voeu que vous y retrouviez intactes toutes vos émotions... Elles sont cependant parfois sujettes à variations ... Assez souvent dûes ... A nos propres états psychiques ou somatiques !
... Revenant dans un pays qui nous a autrefois enchanté, mais au moment où nous souffrons du foie ... Il arrive que l'enchantement n'y soit plus. Il peut en être de même ... Tout simplement parce que la compagne du moment n'a pas l'égalité de caractère de la précédente ...
Vous avez apprécié la beauté des paysages seychellois, le souci des habitants de préserver l'environnement ... Celui "des autorités politiques et administratives" de gérer rigoureusement et de façon sélective le développement touristique.








Une certaine journée de Janvier, j'ai rencontré un groupe de touristes qui n'avaient malheureusement guère eu le loisir de contempler les paysages ... La pluie, incessante et drue, les tint au bar pendant la semaine entière ! La pluie ... Cela arrive ...
Je ne sais quelle était exactement leur humeur ... Ni celle du personnel de l'hôtel ... L'un des meilleurs, tout à côté d'une plage splendide ! Et pourtant, le personnel était bien obligé de poursuivre son travail, quelles qu'en soient les conditions ... Et quelle que soit l'humeur des touristes !




Il y a pourtant ici beaucoup de lecteurs de " La Nation " pour ne pas vous donner tort, à l'occasion des critiques que vous formulez et que, pour ma part, je trouve quelque peu excessives ...
Beaucoup de ceux qui vous donnent raison, même, sont des Seychellois.
La photo d'une jeune serveuse toute souriante accompagnait la publication de votre lettre. Et le moment choisi pour cette publication coincidait avec ... Une campagne offielle du Gouvernement, pour l'amélioration de l'accueil ... C'est donc dire si l'on est lucide !
Il y a du vrai dans vos critiques : " Quand on prétend vivre du tourisme, c'est inexcusable !" _ C'est vrai ...
Mais ici, il ne s'agit pas d'excuser ... Mais de comprendre !




Peut-être devrais-je en rester là et me taire maintenant ? Les Seychellois sont des gens fiers, et ils ont des raisons de l'être ... Ils n'aimeraient pas que je poursuive en soutenant leur parti _ Je le ferai cependant, vite et directement, pour ne pas froisser les pudeurs ...








_"L' accueil à l'aéroport ... ?" _ C'est vrai : _ Nous avons tous ressenti cette gêne, debout devant des policiers soupçonneux, froids et impassibles _ Les hôtesses, dans la cabine de l'avion, ont d'autres manières ...
Mais il faut se souvenir que c'est par avion, et mêlés aux touristes, que les membres d'un commando de mercenaires ont tenté un coup d'état, en dissimulant leurs armes dans des sacs de sport et même dans des jouets ... Il y a moins de dix ans de cela.
Certes, certes ... Tout en travaillant sérieusement, les policiers pourraient avoir le sourire !


_ "Le personnel des hôtels n'est pas toujours aussi gracieux qu'on le désirerait ?"
_ " On a parfois, dites-vous, l'impression de déranger, quand on commande une consommation ... Et les vendeuses des magasins sont parfois peu empressées ..." _
_Comptez-vous pour rien la chaleur, Monsieur ?
_ Certes, ce n'est pas une excuse ...
Votre humeur personnelle ne varie-t-elle pas avec la succession de vos tracas ?
_ Beaucoup de ces jeunes-femmes qui vous servent sont des mères-célibataires. Elles ont laissé à la maison, ( quand elles en ont une à elles ...), une progéniture nombreuse. Quand elles rentreront chez elles, après avoir attendu le bus, elles auront à faire face à tous les ennuis domestiques ... Cela vous dit quelque chose, quand on vous parle comme ça ? ... Songez aussi,( J'en demande pardon aux Seychellois, mais il faut que cela soit écrit...), songez que ces jeunes-femmes perçoivent pour salaire mensuel ... De quoi acheter le poisson et le riz !












L'envie n'est pas encore dans le caractère des gens d'ici, (Pas encore ...). Mais songez que celles qui vous servent vous regardent aller à la plage ... Elles vous regardent aussi choisir vos plats devant le buffet garni ... Elles savent que tout à l'heure, vous rejoindrez votre chambre climatisée ... Puis que vous reviendrez, le soir, tard, miser votre argent sur les tables du casino, ( Accessible seulement aux porteurs d'un passeport étranger ... Pour ne pas dévoyer le sens moral des
Seychellois! ).
Ces serveuses sont toujours coquettes et propres, ( C'est leur fierté ! ). _ Il leur arrive sans doute d'être lasses et découragées ... Et puis ... Je vous l'assure ... Si votre humeur est elle-même souriante, vous n'aurez guère de mal à leur faire retrouver leur propre sourire : Ici aussi, le sourire, c'est contagieux ! _ C'est une affaire d'échange : Le touriste y a son rôle .




J'achèverai là ma réponse, voulant me limiter ...
Alors ?
_"L'île Maurice, dites-vous ?"
_ Tant mieux _ Tant mieux ! _ Et pourvu que cela dure ! Mais je pourrais citer d'autres destinations, proches ou lointaines ... Dont certaines parmi les plus prestigieuses ... En territoire français ... Je ne poursuivrai pas : par charité ...




Veuillez croire, Monsieur, en toute ma sympathie et me pardonner ce qui n'est après tout qu'une méditation bien inoffensive ... D'autant que l'adresse que vous avez laissée n'est pas complète et que la présente réponse, finalement ... Ne vous parviendra jamais !


















UN PÉLERINAGE ...
















Il y a occasion de s'enrichir beaucoup, là où s'assemblent les hommes, et il y a beaucoup à penser aux actes de foi. C'est pourquoi je conterai cette histoire ...


Elle débute au moment où se lève Jeanne d'Arc, ( oui, ici, c'est un prénom fréquent ...) Jeanne d' Arc va sur ses soixante douze ans ... On ne saurait parler de printemps sous ces latitudes ... Sa jambe est bonne, encore qu'elle grippe un peu. Et qu'importe si l'échine n'est plus tout à fait droite ...
Elle passe sa robe à mille fleurs. Ce n'est pas la plus belle, mais elle est légère, et puis, le col blanc, bien repassé et amidonné a de l'allure encore. Après avoir bu une tasse de thé, grignoté un biscuit, Jeanne d' Arc se coiffe d'un chapeau blanc à larges bords : Celui du dimanche. Elle saisit son bâton : Un bambou sec et noueux, prend dans l'autre main son réticule et son missel. La voila partie chez Jean-Baptista, ( Mais oui ! ).
C'est là, juste à deux pas ... Jean- Baptista achève de chausser ses souliers plats. Elle doit avoir à peu près le même âge que son amie. Son visage est d'un brun sombre, creusé des longs sillons que tracent au long de toute une vie les labeurs et les peines. Elle ajuste ses lunettes, met , elle-aussi, son chapeau blanc. Le rendez-vous est à huit heures, en haut du col de "Sans-Soucis".




Il y a déja là toute une suite de voitures, rangées à la vaille-que-vaille, au bord de la route étroite. Jeanne d'Arc et Jean-Baptista sont arrivées, elles, en autobus. Au moment où elles mettaient pied à terre, un camion rouge déchargeait une pleine benne de jeunes-gens rieurs.








Il fait chaud déja : Les lunettes sont essuyées au revers de la robe. On s'engage sur le raidillon. Il est embroussaillé, étroit, et râpeux : Un vrai sentier de chèvres ! Les enfants y courent, les jeunes-gens le gravissent d'un pas déhanché, avec la démarche balancée que donne l'habitude des pentes raides. Certains transportent des postes de radio, portés à pleins bras. C'est par bouffées, au détour du chemin, que parviennent des bribes de chansons françaises.
Les vieux sont plus lents, bien sûr, mais le bâton trouve son appui, le pied trouve son assise. Il y a toujours une main secourable qui se tend aux dénivellations les plus ardues. Jeanne d'Arc et Jean-Baptista, je crois bien, chantent un cantique. A-t-on grimpé pendant une heure, un peu moins ?
Les canneliers embaument. De ci- de là, un agave s'accroche au rocher, acéré. Quelques fleurs mauves font taches sur le granit gris. Un, deux blocs énormes, plissés, tels des éléphants couchés. Il faut les contourner. Le granit s'est figé là il y a des millions d'années. La fausse-vanille l'enserre du réseau de ses lianes sans feuilles.
Depuis longtemps déja on a dépassé les grands albizias. On émerge tout à coup, ébloui : La mer envahit l'espace, montant à la verticale, jusqu'à Praslin, jusqu'à La Digue, et Cousine, et l'île Aride. Il n'existe nulle part un tel rétable, nul vitrail n'offre de semblables couleurs. Les glacis tombent à pic, lisses comme sucre coulé, scintillants de micas et de cristaux. Des arbres nains se cramponnent, pareils à ceux des jardins japonais.
Erigées là par on ne sait quelles épouvantables forces, les roches forment entassement, accumulées, bousculées, droites ou de guingois. On s'assoit où l'on peut. Jeanne d'Arc s'évente avec son chapeau. La scène est biblique, faisant songer au Sermon sur la Montagne. Jeunes nu-tête, couleurs des robes, hommes en bras de chemises et le prêtre a le teint cuivré ... Il porte une soutane longue. Tout en bas la ville, ses bâtiments neufs, ses maisonnettes en bois grimpant dans la verdure, sa jetée, les bateaux, l'aéroport à droite, et les remblais gagnés sur la mer, et les petites îles de la rade...












Un cantique s'est élevé et je crois bien que tout le monde l'a repris. On se compte par centaines maintenant. Combien de centaines ? _ Peut-être quatre, peut-être cinq ...
Le pic sur lequel on se trouve est l'un de ceux que l'on appelle "Les Trois Frères", le plus petit, le plus au sud. Il y avait là, érigée en mille neuf cent cinquante six, une croix de bois. Chaque année, pour le Vendredi-Saint, la jeunesse montait nettoyer la croix et la repeindre. Le temps, les insectes, les pluies et les vents ont fini par en avoir raison.
Aujourd'hui, c'est Vendredi-Saint. Un vrombissement, comme le ronflement d'un orgue qui enfle, approche, s'amplifie
encore : Un hélicoptère monte à la verticale et parvient à hauteur de la foule. Pendant en-dessous, au bout d'un câble, une immense croix de béton tourne lentement sur elle-même. Au souffle des rotors, chacun se courbe, puis se redresse : L'hélicoptère est maintenant stationnaire. Manoeuvre parfaite : La croix est en place dans son trou. On y coule du béton ... On cale, en attendant la prise.
Le père Lafortune, ( Ce nom ne s'invente pas ! ) se dresse plus haut que tous et bénit la croix. De ses quatre mètres, elle domine la roche, à six cents mètres au-dessus de la ville et des flots. On doit la voir de très loin, quand on vient par la mer










... O ! Foi ! Qui se perd ici, se conserve là, ressurgit ailleurs ou bien flambe ! - Ira-t-on, dans ce pays qui se dit marxiste, dès l'an prochain, en procession, repeindre la croix au jour du Vendredi-Saint ?




























LE RENIEMENT HISTORIQUE.














Au livre des ans ... Au livre des siècles ... Ce sont les mêmes questions, toujours, que répète chaque page : _
Qui sommes-nous ?
_ D'où venons-nous ?
_ Où allons-nous ?




Gauguin y exerça ses couleurs et y prêta des visages. Il ne paraît pas que la réponse ait été trouvée. Pour chacun, le présent ne peut se justifier que par l'avenir ou par le passé. Ou bien il faudrait penser, comme certains, que le présent se résout tout entier dans la sensation : La dignité humaine n'y trouverait guère son lot.
La science prétendait naguère à l'avenir ... Elle ne nous laisse que peu d'espoirs ... En ce qui concerne le passé, elle ne nous propose plus que le "Big-Bang" : C'est ne rien expliquer du tout _ Ni la raison, ni la passion n'y trouvent leur part.
Ne rêvant plus au futur, il nous reste à gérer la continuité, travail de comptable, nécessaire ...




Quant au passé : Chacune des pierres soulevées en Mésopotamie nous dévoile de nouveaux millénaires, et plus dignes, plus brillants qu'on ne le croyait : L'homme a toujours imprimé sa pensée sur les stèles qu'il dresse.








C'est pourquoi il y a attentat, aux profanations des cimetières ... Attentat contre l'esprit.
Mais que dire des pierres oubliées, que le temps effrite et couche ?




Très loin là-bas, dans mon village, à l'emplacement de l'ancien cimetière, on a créé un jardin ...
Pas même un marbre pour conserver la mémoire de nos pères ... Du moins, des arbres poussent. On peut les songer éternels ... Sous leurs feuilles, en automne, nul ne soupçonne la cendre du temps.








Hier, j'étais à La Digue. Un bateau laissa son nom à cette île, au temps des découvreurs ... Et c'était il y a si peu de temps ! ... La rêverie dans les cimetières ne marque pas une mode nouvelle ... On peut se demander même, si elle est de mise encore.
Des évènements récents, et qui ont fait la chronique hexagonale montrent pourtant que là réside encore le symbole ...
A La Digue, j'ai donc erré dans le cimetière abandonné.
_ " Le nouveau est beaucoup plus loin, vers le port ..."
_ "L'ancien ? _ O ! _ Il y a bien cent ans qu'il est délaissé !
" Cent ans ... C'est si proche : En mille neuf cent quatre naissait mon père ...
Personne ne vient plus là. Huit stèles ... Peut-être neuf seulement, sont encore debout. La pierre est dure à La Digue : Le granit rose est trop dur pour le ciseau : Les tombes sont faites de moëllons liés à la chaux de corail mal brûlé.














Et puis le temps ... Et puis le vent ... Et la pluie ... Et les embruns ! On lit encore quelques noms, très rares ... Mais, ici rassemblée, c'est toute l' histoire des archipels ... Des noms qui vivent encore, qui ont fonctions, et qui figurent dans l'annuaire du téléphone.
_" Antoine Payet, né à l'île Bourbon, le ... Mort à La Digue le ... 1889."
_ On prononce " Payette", comme on dit "canote" pour canot, dans le Sud-Ouest de la France...
_ Didasse, né le ... Mort le ...
_ Houareau ... De nos jours, ce dernier nom s'est quelque peu modifié, sous plusieurs formes, dont la plus fréquente est : Hoareau ... Mais il est toujours en usage : Les noms sont vivants et se perpétuent par-delà les morts. Mais, Dieu ! La mémoire de ceux-là qui furent les premiers se meurt quant la chaux s'effrite et quand s'éboulent les pierres
... D' où vient qu'il reste si peu de noms sur les stèles ? _ Que sont devenues toutes ces plaques disparues ? Pierres taillées en croix, creusées de niches pour y placer chandelle, obole ou fleurs ...
_ "Underwood, Père et Fils" ... Et ceux-là, d'où venaient-ils ?
Je ne connais rien de plus triste que ces pierres disloquées, dispersées : Scandale contre la mémoire, scandale contre l'esprit, au long des allées envahies par les herbes sauvages ... Sacrilège d'oubli.






Ah ! Que, par décence, on rase les tombes et que l'on pose ici une plaque, une seule :
_" Ici reposent des Femmes et des Hommes. Venus de France, de Bourbon, de Zanzibar, d'Irlande ou bien d'ailleurs ... Ils furent les premiers ... Leurs descendants sont toujours là. "
Peu de choses : Pourrait-on espérer que la tradition dépose quelques fleurs chaque année ? _ Un peuple qui perd la mémoire n'est pas loin de se perdre. Nos anciens n'étaient pas si sots, qui veillaient la lampe.


















UN CHINOIS ...














La boutique fait face au marché. Elle est très ancienne. Bâtie en planches, elle était jadis peinte en vert : Il en reste des traces. Toits de tôle ondulée, montrant encore des traces rouges, mais pièces rapportées, de toutes les couleurs. Balcon en avancée, avec des balustres. La porte ouvre sur l'obscurité intérieure. Parfois une femme en sort : large chapeau de paille battant des ailes au soleil, qui glisse et descend dans la rue. On devine des choses, là-dedans, et des gens qui bougent un peu, au ralenti.


" Kim Koon _ GENERAL MERCHANDISES", lit-on, sur un panneau peint .


Il y a peu de Kim Koon aux Seychelles, mais ils se sont soigneusement postés aux points cardinaux. L'un vend des postes de télévision, l'autre des climatiseurs, le troisième est photographe ... Un quatrième fait on ne sait quoi, au fond d'une impasse... Les plus jeunes arborent vitrines. Les plus anciens vivent dans l'ombre.
Ils ont trafiqué la vanille, le coprah, la cannelle, le patchouli, la nacre, l'écaille, et même les peaux d'oiseaux de mer à duvet, dont on faisait les houppes à poudrer les belles ... Ils ont vendu des faïences, des brosses, du rotin, du riz, des clous, des transistors, casseroles, chemises, ouvre-boîtes, bouchons, beignets, parfums, sandales ... Les ans ont passé, les lustres et les siècles. Ils sont toujours là, derrière leurs comptoirs. La calculette a remplacé le boulier, mais ils comptent toujours ... Chez les Kim Koon, on compte ce que l'on a eu, ce que l'on aura ... Et l'on est les seuls à savoir ce que l'on a . On compte, on compte ... On mesure, on soupèse, on pèse, on calcule, on suppute.










Mêmes yeux bridés, mêmes lunettes à monture d'acier, mêmes crânes, tôt blanchis, tôt dégarnis ... Sourire rare, rire plus rare encore, sec, discordant un peu. Mêmes dents en or ...




L'ancêtre se trouve dans la boutique en bois, face au marché. Il y est depuis deux siècles et demie , depuis la fondation de la ville... Il ne se tient plus droit tout seul : On l'installe le matin, derrière son comptoir. Ses yeux sembleraient vifs, mais quelquefois, ils chavirent. Sa peau est livide et amincie. Sa mâchoire tombe un peu, entr'ouvrant la bouche.
Quand est-il vraiment venu jusque là ? Comment y est-il venu ? Etait-il cuisinier sur un de ces voiliers dont le quart de l'équipage mourait à chaque traversée ? Fut-il soutier, sur un vapeur des Messageries-Maritimes ? Retourna-t-il un jour au pays, pour prendre une femme de sa race et revenir ensuite ? Fut-il toujours là, tout simplement _ Parce que Kim Koon est là, et ses fils et petits-fils ?
Dans la boutique, sur un mur, il y a un cadre qui est de travers : On y voit la photo de la Reine Elizabeth II à Victoria, entourée des Kim Koon.
Cela aurait tout aussi bien pu être la photo de ... La reine Victoria ... entourée des Kim Koon !


_ Vous passez, comme vous le pouvez, entre les comptoirs et les présentoirs, sous les chemises qui pendent au décrochez-moi-ça, Le regard se perd un peu, parmi les pièces détachées pour automobiles, hétéroclites ... Les sous-vêtements féminins, les arrosoirs, les éventails, les bouteilles de bière, les cuvettes de lavabos ... Kim Koon est là, l'ancêtre, sur un tabouret haut-perché. En y prêtant attention, on voit bien qu'il est en fait au bord du "Paradis-pour les ancêtres"...Mais depuis si longtermps ! Son bras plonge dans le tiroir-caisse entrouvert : Maladie de Parkinson ... La main tremble. Elle joue dans les billets de banque ... Depuis la nuit des temps ...














MEMENTO










Et la page, et la vague, et la porte, que ferme le vent ...
La page crisse, se plisse, puis tourne enfin.
La vague s'enfle et s'affale.
La porte claque.
Un canot bleu, tout petit sur la mer : sur la page, une minuscule virgule ...




L'alisé souffle depuis le mois de juin : Dans la salle des Archives Nationales, les ventilateurs sont immobiles. Une porte claque : Porte d'armoire. On a ouvert un tiroir tout à l'heure, d'où l'on a extrait le fichier des "Péris-en Mer".






_ " En cette saison, Monsieur, le vent a de brusques sursauts. Nos pêcheurs ne sortent pas. "


Archives en formes de litanies de voiliers et de vapeurs égarés, heurtant des récifs ignorés ... De grands vaisseaux, chargés de drap et de vins, d'épices et de sucre. Les vagues cognent, les mâts se brisent, les carènes s'ouvrent, les barrils s'en vont au gré des courants ... Des jours et des jours, des semaines et des mois, des barques dérivent. Les pluies sont rares, les soleils ardents, les nuits sont froides. Vaste, l'océan est vide. On ne sait pas où l'on est. On ignore où l'on va.








Au registre, la page se tourne, que le temps a jaunie. Les listes sont longues. Les mentions sont brèves :


_ " L'Administrateur des Iles-Eloignées, faisant sa tournée, a découvert sur l'île Alphonse trois marins rescapés du "Tulagi". Ils avaient dérivé quarante jours , depuis les côtes de Ceylan. " _ C'était en mille neuf cent quarante quatre.
_ " Un navire anglais, en mille neuf cent dix, a recueilli, par neuf degrés trente huit de latitude Nord et soixante degrés trente quatre de longitude Est, le dernier survivant du "Sea-Queen ". Son canot avait dérivé, au total, pendant quatre mois.
_ "Ceux qui vinrent aborder à l'Ile-du-Nord dérivaient depuis quatre mois, venant du Cap Comorin" ...




Les oiseaux et les poissons mangés crus, l'eau qui manque, la peau qui cloque et se fend ... Les compagnons qui meurent ...










Un collègue nous quitte : Il passe la porte et plonge dans la lumière. Comme d'habitude, sa chemise est un peu frippée, son pantalon en accordéon, ses cheveux roux sont en bataille. Trapu, il est court sur pattes et se dandine un peu. Je ne vois plus que son dos, large. Mais avant qu'il ne se retourne, il arborait un éclatant sourire ... Il regagne son propre bureau, tout proche. Le vent souffle, la porte claque : A jamais, un homme a disparu !








La vague gonfle et roule. Il y a quatre jours, le petit bateau bleu a été tiré vers la mer. La page a été tournée : Le bateau n'est pas revenu. Il ne reviendra pas . Quelque part, aux Archives, un tiroir est ouvert. Une fiche est prête, portant deux noms, celui de mon collégue et celui de l'un de ses amis : Deux hommes partis à la pêche...
Hier, un avion a tourné, venu de Diégo-Garcia. On a vu un hélicoptère, des bateaux ...
La vague s'affale, lourde, retombant comme un couvercle. La porte est close. Le registre sera bientôt refermé. Deux femmes espèrent encore, et des enfants, et des amis ...


_ " Moi, Monsieur, j'ai dérivé pendant vingt jours, sur un canot, avec mon fils et mon mari ... Nous avons recueilli la pluie sur une toile. Un bateau grec nous a repêchés près des côtes de l'Inde. Notre moteur était tombé en panne, tout près de la plage de Praslin. Nous n'avions ni ancre, ni avirons, ni signaux. Il y avait du monde sur la plage, tout près. On nous avait vus, mais on a cru que nous pêchions ... Vingt jours, et le froid de la nuit, les brûlures du soleil en plein jour, la soif, la faim, le désespoir..."






_ Deux frères, il y a bien longtemps, dérivèrent pendant des semaines, jusqu'aux côtes du Mozambique ... Ils sont revenus sains et saufs !
























TRESORS DE DIPLOMATIE




















Madame Danièle de Saint Jorre, Ministre des Affaires Extérieures et du Plan, est l'Ambassadrice de charme de la République Seychelloise. Elle voyage beaucoup, de New-York à Paris, de Paris à Londres ... Elle va à Sainte-Lucie, petit pays des Caraïbes, elle va en Islande ... Grande, élancée, portant toilette à merveille, la chevelure rousse et bouclée, le teint normand, soigneusement préservé par d'élégantes capelines, elle est née d'Offay. Voila un nom célèbres aux Seychelles.


_ " Les Créoles, Ah ! Monsieur ! "
_ " Qui ne craquerait ? "


Elle parle trois langues, bien sûr : Le Créole, l'Anglais, et le Français, chacune avec un accent ... Exquis ! Chacun de ses sourires vaut un accord de coopération.
_ " Madame, nous n'abandonnerons jamais les Seychelles ... Tant de liens nous unissent ! "
_ Il y en a partout, des liens ... C'est la France qui a conduit ici les premiers planteurs. Sa langue y perdure et les d'Offay venaient bien de Normandie. _ Que dire des Despilly Jorre de Saint Jorre ?


_ " Jamais, Monsieur le Président, nous ne laisserons la langue française s'éteindre dans nos îles ! "


De l' Angleterre fonctionnent encore ici la plupart des structures civiles : Les étudiants fréquentent l'Université du Sussex, les soldats font la parade comme des "Habits Rouges ".


_ " Le Commonwealth, Monsieur, et la langue ! "




_ L' Australie est bien loin : De l'autre côté de l'océan.
_ " Mais entre elle et nous, il n'y a rien, ou presque ... On y va comme chez des cousins ..."
_ " L' Inde ? _ Le Commonwealth, Monsieur, toujours ... et puis, beaucoup de nos commerçants ne sont-ils pas originaires de ce grand pays ? "
_ " Sainte-Lucie ? Les Antilles ? _ Les nations créolophones, Monsieur ! "


_ Nous savons bien, Madame, que l'aide technique et financière est bien gérée par les Seychellois, c'est pourquoi nous continuerons à vous aider ... "
_ " Mais les pays d'Europe de l'Est ?"
_ " N'ayez crainte ! "


C'est vrai, il n'y a pas, ici, étalage de fortunes récentes et soudaines. On montre bien quelques jolies maisons, mais ce ne sont pas des palais... On dit que certains voyagent beaucoup, mais c'est pour la bonne cause. On dit que certains ont fait des enfants un peu partout et pourvoient à leur entretien : Bah ! Ce sont des gaillards ! _ Les quais sont en bon état, on construit des logements. Les écoles et les hopitaux fonctionnent. Les routes sont goudronnées.


_ " Paradoxalement, nous risquons cependant d'être victimes de notre bonne gestion : Dans certains pays d'occident, certains commencent à penser que nous n'avons plus tout à fait l'air d'un pays à aider.
_" Alors, la voiture rutilante que j'ai vue il y a quelques semaines à Victoria ... Une Mazeratti ... Combien ça coûte, une Mazeratti ? "
_ " Tu ne la verras plus. Elle appartenait au frère du Président, celui qui dirige le service de la pêche industrielle. On dit que les Italiens la lui avaient offerte ... Un peu trop voyante ...Elle faisait jaser déjà ... Le Président l'a renvoyée en Italie ! "






















COURTE SCENE FAMILIALE














Telle une corvette, Monsieur, ou bien une frégate : Et tout le grand pavois déployé !


Elle est entrée dans la boutique, et se sont mis à palpiter des jaunes, des indigots, des rouges et des festons de blanc. Hanches larges comme carène, et qui roulaient ... Avec elle sont entrées des bouffées de cannelle, emplissant la demi-obscurité. Plus très jeune, mais une peau de sapotille, et veloutée ... Le sourire, Monsieur, était un demi-sourire, mais très doux, et lumineux. Les yeux étaient chaleureux et bons. Avec cela, un air de discrétion et de distinction _ Allez donc expliquer ! Un fruit mûr, Monsieur ... Bien mûr, et sucré !


Le marchand indien releva la tête et demeura pensif, rêveur ... La belle Créole posa deux doigt sur une main de petites bananes roses :
_ " C'est combien, les bananes ? "


Dans le magasin, tous les chalands s'étaient immobilisés. Il y avait là une Européenne, choisissant des oeufs, et deux très jeunes Créoles, dont l'une portait un bébé. Le commerçant reposa son crayon ...
_ " Ah ! Pour toi, c'est gratuit ... Tu as été l'amante de mon pauvre père, alors, pour toi, c'est gratuit ! " Au- milieu de la tirade, on entendit la belle glisser de sa voix chantante :
_ " Oh ! Pas trop souvent ! "
Je l'ai vue partir, avec ses bananes ... Elle a plongé dans la lumière ... Et le jardin s'allumait de poinsettias, les canneliers portaient leurs jeunes feuilles carminées, comme des bougies de fête . Avant qu'elle ne referme la porte, nous avons pu l'entendre ajouter :


_ " Tu es un bon garçon. Que Dieu te protège ! "






















RITES, MYTHES ET CROISADES ...
















Aux peuples, grands ou petits, il faut des cultes et des prêtres. Il en a toujours été ainsi. Ne soyons pas surpris par ceux de notre temps ...
L'homme doute ; il voudrait des certitudes. Le groupe y pourvoit, et offre l'invincibilité par surcroît.
La musique est le rite. Les moyens techniques rendent universels les rythmes et les transes. Même sur ce grain de roche, au creux de l'océan, on élève des palissades en un rien de temps, des estrades et des gradins. D'étranges constructions tubulaires aux allures de grues portuaires élèvent des haut-parleurs et des projecteurs.
Le groupe des musiciens que l'on attend aujourd'hui est connu dans le monde entier. Il achève un tour de la planète riche en hurlements, en contorsions et en incantations. Il nous arrive d'Europe.
L'avion qui les amène a pris deux heures de retard parceque les musiciens faisaient la nouba :
C'est le rite . Les libations en font partie.




Les masses populaires sautillent et roulent, lèvent les bras, crient aux étoiles ... Elles rassemblent tous ceux qui, dans leur vie quotidienne, craignent et doutent. Le rythme et l'alcool sont les agents de l'oubli. Ils fournissent à la foule sa puissance. C'est pour cela que la masse se débride: Qui pourrait s'opposer à la foule ? _ Notre époque a ceci d'extraordinaire qu'elle permet l'universalisation du culte, autrefois multiple : Ce ne sont toujours que manifestations de peuples inquiets. Au-delà, et pour que puisse naître l'idée de Nation, le rite reste insuffisant car, lorsque se taisent les musiques, l'homme se retrouve seul, et nu. _ Le médium, alors, invente l'idée, et prêche la croisade : C'est encore le groupe qui se resserre, et marche. Mais alors, il est en marche !






L'idée, presque toujours, s'appuie sur la contestation et la croisade est une guerre. Il arrive que l'on meure en chantant.


Les peuples africains ont manqué leur croisade : Les Nations n'ont pas surgi . C'est que ... Les colons chassés ... Que restait-il pour unir les tribus ?
Sans doute serait-il préférable que l'idée soit positive . Les dirigeants du petit peuple seychellois l'ont compris, peut-être ...
La croisade qu'ils prêchent est celle de la préservation de l'environnement. Ce n'est pas si sot, lorsqu'on demeure sur des îles si petites et que le tourisme vous fait vivre ... Et puis, politiquement, le thème est porteur ... Défendre les baleines, c'est bien vu ... Et ce sont d'autres dans le monde, ici ou là, qui prennent les risques. Il suffit d'en parler ... Les médias font le reste : Vous voici adoubé et purifié.
La croisade est bonne. Les enfants, à l'école, déplorent les marées noires de l'Alaska et le massacre des phoques. Les employés des télécommunications, tous comme un seul homme, jurent de ne plus employer de bombes insecticides, pour protéger la couche d'ozone. On délimite des parcs nationaux dans la montagne et dans la mer. C'est très bien : ne boudons pas notre plaisir. Et puis ... Cela permet de faire parler de soi dans les instances internationales et ... de stimuler les bâilleurs de fonds ... Il en côute si peu aux nations industrialisées, d'aider ce petit pays exemplaire ... Et cela peut donner bonne conscience ... Cela peut même rapporter gros !




Gardons-nous cependant, et même à l'occasion de ces croisades, de l'orgueil et du mépris : Ce sont ces deux-là, qui font naître les fanatismes et les intégrismes.


_ Allons donc ... Et que vive la musique !






















LES BONNES AMES




... OU L'ECOLOGIE BIEN COMPRISE














... Pourquoi ai-je tout de suite pensé que ces deux dames étaient Anglaises ? - Elles m'ont fait songer, bien sûr aux militantes de ces associations féminines ... Si britanniques !
_ Enfin ... Elles m'ont paru Anglaises, que voulez-vous ?... Leur dignité, leur maintien, ou leur coiffure, ou encore leur maillot de bain d'une seule pièce ... Point jeunes : Soixante cinq ans ... Peut-être plus.
Elles longeaient la plage, marchant dans l'eau, là où la mer, en se retirant, laisse ses menues épaves : Coquilles brisées, feuilles mortes, esquilles de corail ...
Ce sont leurs incisives supérieures, peut-être, légèrement trop longues, qui en faisaient des Anglaises ?
_ O ! ... Et puis ... Ne cherchons pas ! J'imagine en tout cas qu'elles devaient verser régulièrement leur obole à la Ligue-de-Protection-des-chats ... Ou bien des poissons-rouges ! Sans doute, de temps en temps, écrivaient-elles à la rédaction de leur journal préféré, pour s'indigner contre ceux qui ...


_ " Il en faut, des comme ça ! Monsieur, il en faut ! C'est l'honneur de notre temps, que de faire le constat des désastres."








Mes deux Anglaises, donc, devisaient ... Parmi les débris rejetés sur le sable à la laisse, il y avait ... des méduses ! _ Vous savez, ces petites méduses bleues avec de longs filaments roses, qu'on appelle physalies ... En cette saison, elles dérivent par bancs, au gré des courants et des vents. Malheur à celui qui entre en contact avec leurs filaments ! _ Ce sont sensations de brûlures vives, et laissant de longues traces livides, comme des traces de coups de fouet. J'image que l'on peut très bien être commotionné à ce contact, et se noyer si les méduses sont quelque peu nombreuses
... Eh bien, donc, il y avait des méduses, grosses comme des macarons, échouées sur le sable blanc. Et j'ai vu, à ma grande stupéfaction, l'une de mes deux Anglaises, se munissant de deux larges feuilles, se baisser, ramasser les méduses, délicatement, l'une après l'autre ... Pour les remettre à la mer !








_ " Il n'y a pas de sottes actions, Monsieur, quand il s'agit de préserver la vie ! "


... Inlassablement, la mer ramenait sur le sable les petites rondelles transparentes ...








































LES MAITRES-CHANTEURS D'ANGLETERRE




( suite ... )












Cela avait mal commencé : L' avion avait pris deux heures de retard au départ de Paris : Le temps de calmer les énergumènes qui perturbaient la cabine. On peut imaginer : Il s'agissait du groupe musical anglais U.B.40. se rendant aux Seychelles pour clôturer un triomphal tour du monde.
_ Quand on a entendu parler des débordements de ce genre de balladins ! Le groupe est orignaire d'une zone suburbaine de Londres ... On évoquerait ici les "Hooligans " et autre " fans " du foot-ball. Mais le fait d'être Anglais n'y est pour rien sans doute.
Ce groupe avait été engagé par la " Ligue de la Jeunesse ", organisation satellite du Parti-Unique ... Haute visée : Ces chanteurs et musiciens sont parmi les plus célèbres du moment ! Le coût de la prestation devait se situer également très haut : Le prix du billet d'entrée avait été fixé à cent roupies ... Quand on aura dit que beaucoup de salaires ne dépassent pas mille cinq cents roupies par mois !
Le battage publicitaire fut à la hauteur de l'évènement : Spots à la télévision, annonces à la radio, encarts dans le journal, spectacles vidéo sur écran géant au bord du trottoir, affiches, banderoles ...


_ " Il faut remplir le Stade Populaire ! "








On vit se construire des palissades et des miradors tubulaires, s'installer une estrade, des projecteurs de couleurs, des haut-parleurs-géants ...
Nul doute : La " Ligue de la Jeunesse" dépensait beaucoup ... Pour les étudiants, on décida un week-end de liberté non prévu au calendrier ... Et le fameux samedi arriva. Il y eut du spectacle !
_ Première déception : Le stade n'était pas plein, loin de là : Le prix du billet, sans doute ...
_ Second problème, plus gênant encore ; La sonorisation ne fonctionnait pas : crachotements, vrombissements, détonations dans les haut_parleurs, syncopes. Il n'y eut pas Une panne de son ... Qui s'éternisa... Il y en eut deux, puis trois, puis quatre !
Il faut admirer la jeunesse seychelloise : En d'autre pays des hurlements se seraient élevés, des quolibets, des bouteilles auraient volé, les installations auraient été saccagées, les organisateurs molestés. _ Rien de tout cela : A peine quelques sifflets devant la désinvolture des musiciens.


D'aucun verront là le signe d'une docilité inquiétante ... Laissons à chacun la responsabilité de son commentaire .
Pendant les " pauses ", certains évoquaient, l'air scandalisé, les chahuts des musiciens dans leur hôtel, à Bel-Ombre, la quantité invraisemblable de bouteilles de bière vides qu'ils semaient sur la plage... Et puis ...
Mais le Seychellois sait demeurer discret !










_ " Festival musical du silence ", titrait le journal le lendemain matin.
_ " L'organisation était parfaite, seule la technique fut défaillante."
On expliqua les chose quand on raconta qu'une bouteille d'eau, posée je ne sais où, s'était renversée et vidée dans les circuits électroniques ! ... Nul ne pensa que la bouteille d'eau ait pu appartenir aux musiciens !


Mais le surlendemain ! ... La nouvelle explose comme une bombe :
_ Les musiciens sont en prison !


_ Pas pour le fiasco du spectacle : Il ne saurait leur être imputé, mais la police seychelloise, perquisitionnant dans les chambres d'hôtel, a trouvé ... du cannabis !
_ Le minimum de la peine prévue par la loi est de trois ans d'emprisonnement.
_ " Ils sont en cellule !" ...




Par mesure de clémence toute spéciale, ils seront expulsés par le premier avion . On les accompagnera jusqu'à l'appareil " manu-militari ", à trois heures du matin, aussi discrètement que possible.
_ Nous aimerions savoir si, comme au départ de Paris, ils ont fait le cirque dans la cabine ... Mais au fait, au cours de leur " triomphal tour du monde ", en aucun pays, personne n'avait rien soupçonné ?
_ Merveilleuses Seychelles !


Auprès des Européens qui résident aux Seychelles, il ne faut pas s'étonner d'avoir entendu des réflexions du genre :
_ " C'est normal, qu'ils se droguent. Autrement, comment voulez-vous qu'ils tiennent tout au long d'une tournée ..."
_ A méditer sans doute, longuement.


















LA FETE DES ENSEIGNANTS










Les fillettes sont en tutu, les cheveux nattés. Les garçons portent pantalons longs gris-souris, petit gilet , chemise blanche à manches longues et noeud papillon. Il n'y a que des souliers vernis, des soquettes et des dentelles.
Les papas portent aussi chemise blanche, les mamans robes à volants et passements, petit chapeau.
Il ne manque que les saxos pour jouer des blues : On se croirait à la Nouvelle-Orléans il y a soixante ans.






Hier, il y avait assemblée et pique-nique sur la plage de Grande-Anse. Aujourd'hui, le corps enseignant est réuni sous des tentes, dans la cour du Ministère de l'Education. Les tentes sont rouges et montées sur tubes ; les sièges sont alignés comme à la parade ...
C'est la parade . Les enseignants du pays sont mille quatre cents : Ils sont pratiquement tous là, depuis les "Miss" qui enseignent dans les "Crêches", jusqu'aux dirigeants des institutions : Pantalons gris, chemises blanches, robes à festons. On a dressé une estrade, une chaire, et installé des microphones. Pendant toute la semaine, de larges banderoles ont proclamé au-dessus des routes et des chemins la dignité du corps enseignant :


_" Etre professeur, c'est le plus beau des métiers."


_ " Le professeur doit avoir de l'autorité et être une autorité. "


_ " Les professeurs forment les élites de demain."










Devant l' " Ecole d' Education ", qui forme les enseignants de tous niveaux, un panneau peint montre un arbre ... Que l'on pourrait considérer comme un arbre généalogique : Le tronc, c'est le professeur ... Les branches, ce sont les corps professionnels ... Le rameau le plus haut, c'est le Président de la République ...






Le voici, le Président : Sous les tentes, tout le monde se lève et applaudit. Il s'assied au premier rang, au-milieu de tous ses Ministres. Le Ministre de l'Education est là, bien sûr : C'est une poupée dodue au sourire en coeur, en corolle de mousseline rose ... exquise !
L'hymne seychellois, puis les prières. Ces dernières sont dites en Français, par un prêtre qui roule les "r" comme un Carcassonnais. Utilisant une élocution onctueuse et modulée, comme il convient, il appelle la bénédiction de Dieu sur la profession à l'honneur, dont les membres sont" si nobles " et " si dévoués ". C'est samedi aujourd'hui, et c'est le " Teacher's Day ". Notons que le samedi, habituellement non plus, n'est pas un jour de classe ... En d'autres pays ... Mais, pour être juste, notons que toute la semaine se sont échelonnées dans tous les établissements, les cérémonies à la gloire des enseignants, avec bouquets de fleurs, chansons, compliments et discours ...






Et je me demande si, dans mon vieux pays, on sait encore honorer ainsi les éducateurs _ Le " Teacher's Day" ferait sourire ... Faut-il penser qu'on leur refuse les honneurs, ou bien qu'ils s'en seraient rendus indignes ?... Faut-il penser que c'est notre société tout entière, qui a perdu son âme et ses valeurs ? ... Et que, par voie de conséquence, nos éducateurs ne savent plus transmettre ces dernières ?








_ Et voilà : Il n'y a pas de saxos, mais il y a un énorme tuba, étincelant de tout son nickel, un trombone, quelques autres instruments à vent, et la chorale des enseignants prend place... Le Chef porte petit gilet et noeud papillon lui aussi . Il manie la baguette avec virtuosité. Celà rappelle " Autant en Emporte le Vent ", ou mieux encore, " La Couleur Pourpre ". La chorale chante l'union : " La Main dans la Main ", la noblesse, la fermeté, le progrès, et la Nation. On chante aussi, avec accompagnement des cuivres, " Le Labeur et La Confiance, et La Guerre à la Corruption et à L'Irresponsabilité ". Cà et là des ballons en baudruche, accrochés en guirlande, éclatent à la chaleur : La première fois, on sursaute !
Il ne faut pas rire : Puiser quelque matière à rélexion peut-être ... Tout en sachant que pareille prestation serait impossible chez nous, et incomprise. Mais qui a raison?
_ Nous avons chez nous d'autres cultes. Il faut prendre la mesure.






Autre réflexion , qui devrait donner du grain à moudre à nos diplomates, si prompts à se moquer, si insistants pour la "sauvegarde " et " l'expansion" de la langue française : L'insistance agace parfois, alors qu'ici, les prières récitées et les textes chantés sont en Français, en bon Français ! Nous avons dit ailleurs quel est le statut de la langue française, né de l'organisation sociale et religieuse.
... Mais tout le reste de la cérémonie, y compris les discours, s'est déroulé en Anglais. On reprendra les chants une deuxième fois, toujours en Français, et c'est en bavardant en Créole, que l'on prendra les rafraîchissements...
Langue française : Langue sacrée ... Mais pour combien de temps encore ?
_ O ! ... Et puis ... En France, il y a combien de temps que le Latin ne jouit plus du statut de " langue sacrée" et qu'il a disparu de nos cérémonies religieuses ?
_ Discours du Ministre, discours du Président, et puis, discours du président de la toute nouvelle " Association des Enseignants Seychellois " ( " Elle n'est pas un syndicat : Elle est une association de professionnels responsables qui veulent montrer qu'ils sont capables d'évoluer et de progresser ensemble . " ) _ On pourrait ici poser quelques questions : ... Robes, chapeaux, cravates, tubas et trombones, certificats, diplômes et récompenses ... Mais plutôt que de dire ce que l'Association " n'est pas" ... N'aurait-il pas mieux valu dire ce qu'elle sera ?
A la fin des choses ... Au bout du compte ... N' en revenons-nous pas à la même question que celle qui fait sourire aux " Trois Messes Basses" du Curé de Cucugnan : Au-delà du rite, quelle est la consistance de la foi, quelle est la solidité de la volonté ?








_ Demeurons lucides cependant : Les discours d'aujourd'hui ne sont pas risibles du tout _ Ils mettent l'accent sur les valeurs morales et civiques . Ils parlent de ce que nous n'avons plus guère.
Ne moralisons pas trop, mais demandons nous où nous en sommes nous mêmes. Il est vrai qu'une nation qui n'honore plus ses éducateurs perd, ou a perdu le sentiment de ses valeurs. Il est vrai qu'un éducateur qui ne serait point honorable n'aurait plus rien à transmettre ... Que le désespoir.
Chez nous, on envoie les diplômes par la poste,( Quand il existe encore des papiers qui les attestent ...). Chez nous, un inspecteur d' Académie peut vous remettre le diplôme établissant votre admission dans l'Ordre des Palmes Académiques en vous disant :
_" Je ne sais pas ce que cela vaut encore ...")
Aux Seychelles, on honore encore les enseignants. On leur remet des certificats de reconnaissance pour plus de vingt cinq ans de services, pour plus de quarante ans de services ... Et, aux quatre plus anciens, on remettra de belles médailles, auxquelles on ajoutera un billet d'avion pour des vacances au Kenya, à Singapour ou en Europe. La France, elle, a encore ses médailles réservées aux enseignants : Médaille de bronze, d'argent , ou d'or... Mais elles ne sonnent ni le bronze, ni l'argent, ni l'or : L'imprimante d'un ordinateur les inscrit au " Bulletin Départemental de l'Enseignement, ( Quand il existe ), et c'est tout .
_ Alors, ici, ne boudons pas notre plaisir ...




_Angélisme ? _ Peut-être _ Mais , bon sang, que les enseignants étaient heureux !


_ " ... Même si cela ne leur apporte pas plus d'argent à la fin du mois" ... disait un dignitaire de façon fort lucide. Et puis, la convivialité de ces cérémonies, cela n'est pas rien non plus ! ... Les images du pique-nique organisé sur la plage montraient des visages bien épanouis, derrière les marmites où était puisé le poulet au curry ...








Un mot encore, le dernier ... Ces gens là ... Fils d'esclaves et de domestiques, ont adopté les valeurs dont se réclamaient leurs maîtres en même temps qu'ils copiaient leurs vestons, leurs robes, leurs fêtes et leurs petits-fours _
Qui y trouverait à redire ?














































UNE HISTOIRE D'HOMME-DE-BOIS ?














_ " J'en ai encore des sueurs, Monsieur ! "




Le conteur était assis dans sa voiture, portes ouvertes, dans un coin ombragé de la place qui, partout ailleurs, était écrasée de soleil. C'était l'heure à laquelle les passants sont rares, l'heure à laquelle les chauffeurs de taxi font la sieste.
Pour parler, celui-ci prenait son temps. Il ne se faisait pas prier pourtant. Sa parole était lente, mais sa phrase sans hésitations ni ruptures. Ses mains étaient serrées sur le volant, côte à côte. Sa tempe perlait un peu.






Je vais vous conter l'histoire qu'il m'a rapportée ... Il y manquera le sel de la langue créole, et sa mélodie.




_ " Ce n'est pas une " histoire-d' homme-de-bois", Monsieur. C'est une histoire vraie. Elle m'est arrivée, à moi, il n'y a pas trois mois. Comprenne qui pourra, mais c'est à moi qu'elle est arrivée. "


_ Je compris que le récit serait long : L'homme ferma les paupières. Il parlait sans presque bouger les lèvres.
_ " C'était un soir, Monsieur, un soir de pleine-lune. La montagne était blafarde mais claire : Chaque arbre, chaque détail, se détachait avec une netteté surprenante. Pas un souffle d'air. Les roussettes grinçaient et couinaient dans les manguiers. Il n'était pas tard encore ...




Je venais juste de conduire un couple de touristes au casino de Beau-Vallon. Le téléphone sonne à la borne : Je décroche : Voie féminine, créole, jeune ...


_ " A minuit, au Katiolo, le dancing de l'Anse-Faure ... Je serai à la porte. Il faudra me ramener chez moi, au Niole. "


_ Le Katiolo à minuit ... Pourquoi pas ?






Le récit cessa un instant . L'homme avait ouvert les mains. Il les promenait à plat sur son volant. Ses paumes étaient moites, un peu. Renversant la tête, les yeux mi-ouverts maintenant, il continuait :
_ " A minuit, Monsieur ... Pourquoi pas ? ... Les impôts sont lourds, et j'ai cinq enfants ...
Je me rends à l'Anse-Faure à l'heure voulue. La lune est haute, toute ronde. La route est nette. Les arbres défilent, palmiers et feuillus ... Je traverse un hameau désert ... Deux chiens ... Plus loin, un chat ... Je ne roule pas vite : J'ai le temps.
Pointe-Larue : L'aéroport est éteint. Au portail du camp militaire, une sentinelle est à son poste ... Le canon de son arme luit.
Voici le Katiolo, au bord de la route. Mes phares, tandis que ma voiture prend un virage, éclairent la boutique du boucher ... La mer est juste derrière, plate, toute plate. Au dancing, la soirée bat son plein. Les lumières clignotent, rouges, vertes, bleues. La sonorisation donne très fort : C'est l'heure de la lambada.






_ Je roule sur les graviers, doucement, les vitres ouvertes. J'arrive à la porte ... Une femme en surgit au même instant. Elle était invisible la seconde d'avant.


Elle était très belle, Monsieur : grande, mince, jeune : Vingt ans peut-être ? ... Une antilope, une gazelle ! _ Au premier abord, on ne voyait que ses yeux, étincelants, comme des braises. Ses cheveux étaient finement tressés et tirés en arrière. Elle portait une robe de mousseline, Monsieur ... Comme une robe de mariée ! Elle s'assit à l'arrière ... Elle avait de longues jambes d'ébène. Je me préparai à refermer la portière ...




_ Le récit du chauffeur de taxi s'accélère ... Ses yeux sont grand-ouverts, perdus au loin ...




_ J'allais donc refermer la porte. Je m'aperçois que ma passagère frissonne. Elle était très jeune, Monsieur, je l'ai dit. La fraîcheur avait dû la saisir, au sortir de la danse... Je lui couvris les épaules avec ma veste.
Nous voilà partis pour le Niole. La route est étroite et sinueuse ... Mais elle voulait arriver avant la demie ... J'accélérai.
La maison est un peu à l'écart, juste avant le pont. Elle est verte, avec des balustres blancs. Elle s'accroche à un glacis. La façade était bien visible, mais un petit nuage descendu des Trois-Frères la cachait en partie. On aurait dit qu'il était illuminé de l'intérieur ... Un katiti se mit à crier ...


Elle bondit, courut dans l'allée. Ses pas ne faisaient pas un bruit, comme s'ils n'avaient pas touché le sol.
... Elle avait laissé sur le siège un billet enroulé : Le montant de la course...








_ Ici, le conteur se tut. Il se passa la langue sur les lèvres avant de reprendre, comme pressé d'en finir ... Sa voix était devenue plus flûtée, mais aussi plus monocorde :






_ Je m'aperçus tout de suite qu'elle avait oublié de me rendre ma veste. Mais je me dis que je la récupèrerais le lendemain matin , en passant par là ...


Le lendemain, Monsieur ... Je reviens au Niole ... Je frappe à la porte de la maison ... Arrive une pauvre femme vieillie avant l'âge, vêtue de noir ... `


_ " Une jeune-femme, dites-vous ? _ La nuit dernière ! "




Croyez -en ce que vous voudrez, mais c'est à moi que c'est arrivé, à moi-même, il y a moins de trois mois ! ... Ce n'est pas une "histoire d'homme-de bois ! "
_ Eh bien, Monsieur ... Il n'y avait pas de jeune-fille dans cette maison. Il n'y en avait plus ! ... La fille de la maison , elle s'appelait Flora. Elle était morte depuis deux ans, depuis deux ans juste, le soir de mon aventure ... Jour pour jour ! _ Quand je l'ai ramenée chez elle, il y avait deux ans qu'elle était morte ! ... Comprenez-vous ça, Monsieur ?


_ Morte au soir de ses noces, deux ans plus tôt ... Ah ! Monsieur !






_ Le lendemain-matin, je me suis rendu au cimetière de Bel-Air, tout là-haut ... La tombe était bien là où l'on m'avait dit : Près d'un gros rocher ... Elle s'appelait bien Flora, Monsieur : C'est écrit sur la croix ! ... Et sur la dalle, soigneusement pliée ... Il y avait ma veste, Monsieur ... Celle que voilà !




















LE PARADIS ... C'EST CA !














Des horizontales d'ombre et de lumière sous le tamis d'une haute ramure ... Roches allongées, de granit gris, rose ou noir.
Cinq heures, sur la terrasse du " Sunset ". Bandes vertes et bleues d'intensité variable, sur la mer ... Plage blanche au fond de l'étroite crique. Des ors et des argents ... et le calme. Tables rondes, nappes aux couleurs de pastel, porcelaine anglaise ... Un bon livre.
Tout à coup, du haut de l'arbre, un oiseau laisse tomber une fiente sur ma page.
_ " N'en veuillez pas à cet oiseau ... Pardonnez-lui."
_ L'homme qui s'adresse à moi est assis à la table voisine. Il est très grand, athlétique, de peau très sombre. Il parle en Anglais : Est-il Américain, Kenyan ?
_ Il est Seychellois :
_ " Connaissez-vous un endroit aussi calme et aussi beau ? "
_ Lorsque je lui dis que je suis Français, il rit et , avec aisance, change de langue :
_ " De quelle région de France venez-vous ? "
Je me présente. Lui, il est secrétaire-principal du Ministre de l'Environnement . Nos cousins Québecquois diraient qu'il est "Sous-Ministre ". Il sirote un verre de vin blanc australien. Il me demande ce que je lis. Je lui montre mon livre.
_ " Je ne peux pas lire le titre : J'ai mal à l'oeil ... " C'est vrai: Il a un oeil au beurre-noir ... Mais, un oeil au beurre -noir dans un visage noir ! _ Belle tuméfaction pourtant, quand on y regarde de près !










_ " Dès que j'ai un peu de temps, je m'échappe et je viens ici. Tout à l'heure, j'avais mal à la tête, alors j'ai laissé ma femme à la maison et je suis venu là. Connaissez-vous, en France, un endroit plus beau et plus calme ? "
_ Nous rions.
_ " C'est çà, les Seychelles : Un petit pays calme. Nous ne demandons qu'à conserver ce calme et cette beauté. Il faut le dire partout, à tout le monde. Nous n'avons rien à voir avec la Guerre-du-Golf, avec l'Irak et les Etats-unis. Nous ne voulons que la paix. Pourquoi faudrait-il souffrir pour Hussein ou pour Bush ? Pourtant, le prix du pétrole va augmenter.
... Et c'est nous qui paierons la facture ! Nous allons souffrir ! Il faut que les pays occidentaux nous aident : Il faut qu'ils nous donnent de l'argent ... "










_ Le ton demeure jovial et chaleureux.
_ " Dites-moi, dans la région de Bordeaux, vous avez des endroits aussi calmes ? "
_ Je ne saurai sans doute jamais l'origine de cette tuméfaction de l'oeil, mais la conversation se poursuit ...
_ " Vous étiez aux Seychelles quand le Président Mitterrand est venu ? " Eclat de rire :
_ " Il y avait des gardes du corps partout. Vraiment, on dirait qu'il avait peur de mourir dans nos montagnes ! Quand il est allé dans la " Vallée- de-Mai ", à Praslin, il y avait même un hélicoptère ! Deux malheureux touristes cheminaient sur une crête, ignorant ce qui se passait ... Ils ont été menacés avec des armes automatiques !


_ " Descendez, ou l'on tire ! " ...


_ " Vous vous rendez compte ! "








Ayant vidé son verre, mon interlocuteur continue, sur le même ton :
_ " Le Président François Miterrand et son Ministre des Affaires étrangères ... Et toute sa suite ! ... J'étais là quand il a discuté avec le Président France-Albert René ... Mais à l'île Maurice, Miterrand a distribué des sous ... Aux Comores aussi ... ( C'était sans doute à cause de Bob Denard ... ) ... A Madagascar, il a tout simplement effacé la dette à l'égard de la France ... Allez, zou ! ... Plus rien à payer ! ... Aux Seychelles : Rien du tout ... "


_ Un moment de silence ...




_ " Vous êtes le conseiller du Directeur de l'Institut Pédagogique National ? _ Il y en a partout, des Français ! Moi aussi, j'ai un conseiller français ... Un homme remarquable, d'ailleurs ... Je connais bien votre Ambassadeur... Il joue à la pétanque ! "
_ Rires ... Geste du bras, comme lorsqu'on pointe vers le cochonnet ... Le doigt , ensuite, suit une boule imaginaire qui roulerait ...
_ " Il veut que nous parlions Français : Tous les dossiers que je lui transmets, il veut qu'ils soient écrits en Français. Il faudrait quand même songer que notre éducation est britannique. Faut-il que je reprenne ma grammaire française et que je révise la conjugaison du verbe être ? "








_ Encore une tirade concernant Mitterrand et la remise de la dette de Madagascar : Il ne digère pas !
_ " Et rien pour les Seychelles ! "
_ " Et les Français voudraient que nous parlions leur langue, qu'on l'entende à la radio et à la télévision ! " _ L'homme déplie ses longues jambes, se lève, me serre la main.
_ " Il faudra que je vous invite à dîner à la maison, avec mon conseiller ... "






Peut-être saurai-je tout de même un jour ... Pourquoi le Secrétaire-Général-à l'Environnement ... avait, le soir du samedi, 13 octobre 1990 ... Un oeil au beurre-noir ?




Mais vous, Monsieur l' Ambassadeur de France ne vouliez-vous pas connaître les échos de la visite du Président Mitterrand ?


















































LE FESTIVAL CREOLE


















Ce billet, il faut bien que je l'écrive : Au cours de ce colloque, organisé dans le cadre du troisième " Festival Créole ", j'ai ressenti des humeurs. Elles ne doivent pourtant pas cacher l'ensemble.


_ " Passage de l'oralité à l'écriture ", tel était le thème. _ il fut abordé ... Parfois ... On ne peut prétendre qu'il fut épuisé.
J'en avertis cependant dès maintenant : C'est un billet d'humeur que j'écris ici. Dès la fin de la première matinée, mon impression fut de tristesse : Celle, un peu, d'assister à une réunion de la "Société Savante de Plougastel-Daoulas" ... mais ne médisons pas des Bretons ...
Voici un colloque qui se veut " trans-national" et qui rassemble tout au plus une trentaine de personnes, une fois achevée la cérémonie d'ouverture, à laquelle les personnalités se croient obligées d'assister.
Il y a là quatre Réunionnais, ( Ils ont été invités par les organisateurs, mais ils sont mandatés par qui ? ) On ne sait pas non plus au nom de qui parlent les Haïtiens ... qui arrivent en fait ... du Québec ... Ni le Cap-Verdien, qui demeure à Paris car il est employé au siège de l'U.N.E.S.C.O. depuis plus de dix ans ... L'un des Mauriciens est, au même titre, Parisien depuis trente ans ... Et les deux Guyannaises n'engageront vraiment leur discours que pour parler ... des Haïtiens immigrés en Guyane !








Du côté du pays organisateur, il reste un président de séance chenu, d'une extrème courtoisie, la Directrice de l'Enseignement supérieur, et celle de l'Institut Créole, qui posera quelques questions en évitant d' esquisser des réponses !...Soyons juste tout de même, et pour une fois : Ajoutons qu'il y avait là quatre coopérants français, rémunérés par leur pays d'origine pour agir en faveur du développement ... de la langue française ! Il y avait aussi un Guinéen plus ou moins en exil, trois étudiants seychellois dont le titre de présence était ... leur échec récent à l' Université de La Réunion ... et quelques autres personnages non-identifiés dont, certainement, deux ou trois touristes égarés.
Les Mauriciens n'avaient pas tous les mêmes idées : Ils se sont pris du bec ... Ceux qui résidaient à l'île Maurice contre ceux qui résidaient à Paris .
Parmi les Réunionnais, il y avait une institutrice en retraite, un professeur de faculté se disant linguiste, et un professeur d'Ecole-Normale aux opinions extrémistes.






_ Le journal Seychellois "La Nation" titre : "Victoria, Capitale mondiale de la Créolité".
Les manifestations du festival sont, dans l'ensemble, largement financées par ... la France ! Notons que celle-ci, néanmoins, n'est pas officiellement représentée au colloque. Son oeuvre d'éducation est pourtant largement et vertement critiquée par ... les participants issus du département français de La Réunion ! _ On parlera de " Génocide Culturel", mais le Recteur n'est pas là. On se plaindra de la "coercition" qui empêche l'expérimentation de méthodes jugées " seules sensées et raisonnables", mais personne ne sera là pour évoquer le travail quotidien des enseignants réunionnais dans les écoles. _ Finissons-en avec nos réglements de comptes franco-français.








Je n'en parlerai plus, mais j'avais averti que ce billet serait un billet d'humeur. Revenons au colloque. _ Tristesse, un peu : Pour ce troisième colloque, les Martiniquais n'étaient pas là, les Guadeloupéens non plus. Que sont donc devenus les universitaires excités qui, naguère, exprimaient leur créolité en brûlant des voitures à Didier ou à Pointe-à-Pitre ?
_ Tristesse et langue-de-bois. Les représentantes de la Guyane, semble-t-il, avaient fait tout ce voyage pour exposer le projet d'un musée ... qui existera peut-être, un jour ! Celui du Cap-Vert nous parlait de musique, ( " De l'oralité à l'écriture ? ). Les Mauriciens avouaient deux pour cent d'analphabètes : Ils étaient traités de menteurs par les autres, ( Ce dont ils se moquaient éperdûment ! ). Une Réunionnaise, elle, accusait ... quarante pour cent d'analphabètes dans son île ! ( On la félicitait pour "sa franchise " ... Avant qu'elle ne rectifie et ne fasse la distinction entre les enfants " en difficultés d'apprentissage ", qui représenteraient " quarante pour cent de la population scolaire" et les enfants analphabètes, "qui en représenteraient deux pour cent" ... On eut aimé que le Recteur fût présent pour exposer des chiffres réels ou parlât " d'illettrisme ".


N'omettons pas de parler du poète Mauricien Edouard Maunick,( J'ai l'impression très nette qu'il ne nous le pardonnerait pas de si tôt ! ). Je le tiens pour un poète de qualité ... et je lui conseillerais de continuer à écrire des poésies, et rien que des poésies. Malgré ses poses et ses modulations dignes d'un grand acteur, j'eus grand plaisir à l'écouter déclamer. Pour le reste ... Eh bien, ma foi, il a peut être trop tendance à vouloir appitoyer les pauvres gens en évoquant les " coups de pieds au ventre" que d'autres enfants lui donnaient autrefois à la sortie de l'école. Au sens propre ou au sens figuré, nous avons tous reçu un jour des " coups de pieds au ventre ", mais ce n'est pas en grattant ses plaies que l'on construit quoi que ce soit .
Un dernier mot : Ah ! Le beau poème, dédié à Aimé Césaire, que Maunick nous a dit ... en Français ... Lors de la cérémonie de clôture !




















DES RÉGIMES POLITIQUES EN GÉNÉRAL ET DE CELUI DES SEYCHELLES, EN PARTICULIER ...


















Il faut sans doute revenir encore sur la visite du Président Mitterrand aux Seychelles. Certains racontent qu'il fit au Président Seychellois, France-Albert René quelques ... recommandations ...


_ " Ah ! La rumeur, Monsieur ! "


Le Président français a beaucoup déçu ... Il aurait tout simplement fait remarquer qu'un pays qui vit sous le régime du Parti Unique ne peut être considéré comme un pays démocratique ... Simple rumeur, peut-être, mais on ne s'y étonne guère.
L' Occident surpris a vu se fendre les rideaux de fer, se briser les murs de béton. Il se pense autorisé à universaliser ses modèles. Il n'est pas certain qu'il ait raison.
Considérant les particularismes, on est conduit sans doute à considérer que l'universalité n'est pas de ce monde. En son nom pourtant, bien des erreurs ont été commises, irrémédiables parfois. Il peut y avoir sagesse à résister.
_ Le multipartisme est-il adapté aux Seychelles ?


_ J'ai connu d'autres archipels, comparables par leur taille et par leur isolement. Certains ont statut français : On y vote aussi souvent qu'en métropole ... Pour les élections des Conseils Municipaux, pour celles des Conseils généraux et Régionaux, ou bien pour celles des Assemblées Territoriales. On y choisit des Députés, on y choisit des Sénateurs. Scrutins universels, scrutins de listes ou bien scrutins uninominaux ... Comme à Nantes, à Strasbourg ... ou a Courcoury-les-Oies !






Chaque fois, chacun se jugeant meilleur que les autres, ou voulant tenter sa chance, il y a floraison de candidatures, issues de chaque famille, de chaque clan, de chaque tribu. Je ne suis pas convaincu de la valeur absolue de cet exercice de démocratie ...
Chaque élection développe les rivalités, les haines, les rancoeurs et les corruptions. A Nantes ou à Strasbourg ... A Courcoury-les Oies ... Passe encore : Celui qui se dresse contre vous, vous avez des chances de ne pas le rencontrer tous les jours dans la rue, ( Encore qu'à Courcoury ... ! )
Dans une petite île, vous le rencontrez quatre fois par jour, chaque rencontre entretenant les antagonismes que fait naître ou qu'exacerbe chaque consultation électorale. D'où, peut-être, la plupart des dificultés que rencontrent le Polynésie, les Antilles ... ou la Corse ....


Les Seychelles, il est vrai, ont adopté un régime de Parti-Unique. On peut railler, on peut gloser, on peut fustiger ... Il y a mieux à faire en essayant de réfléchir.








Dans les districts, ici et là, chaque semaine ou presque, je vois des gens qui se rassemblent dans les "Centres Communautaires ". Je les entends qui discutent de leurs affaires dans leur langue, qui est celle de tous les jours. Le Président de la République est là, avec ses Ministres. Ils écoutent, ils répondent. Je les entends parler des écoles, lorsqu'elles ne fonctionnent pas bien. Ils parlent des rivières, quand elles risquent d'être polluées, des routes, quand il faut les réparer, des dispensaires, quand les médicaments viennent à manquer ...
La télévision me fait assister à des séminaires : On y parle sérieusement du sida, de l'avortement, de la drogue, du Service National de la Jeunesse ... Parodie de démocratie ? ... C'est ce que disent nos bons diplomates français ... Vite dit ! ...










Sommes-nous bien certains de mieux faire ? L'île est un terrain favorable aux paroxysmes. On l'a vu en d'autres archipels. Le multipartisme y conduit parfois aux affrontements. _ Paternalisme ? ... Soit . Mais, " Tonton " promet-il mieux ?


































NOSTALGIES ...














C'est un vieux monsieur très digne, grand et sec. Il a la peau blanche, légèrement tannée. Je le rencontre assez souvent le matin, sur ma route, en allant à mon bureau. Vêtu de toile kaki, il porte un grand chapeau de paille : Tout à fait le genre de vieillard dont on ferait le portrait pour le faire figurer sur un dépliant touristique ...
Il me fait signe. Je m'arrête. Je le fais monter dans ma voiture.


_ " Bonjour Monsieur, est-ce que vous pouvez m'emmener à Victoria ? "
Il s'assied et c'est seulement à ce moment qu'il me reconnaît.
_ " Dieu vous bénisse ! Il bénira tout ce que vous entreprendrez pendant cette journée. "
La langue française est excellente, grasseyant seulement un peu, très légèrement, sur les "r" . J'engage la conversation :
_" J'aime beaucoup votre pays, Monsieur. Il est si beau et si tranquille ! "
Mais j'obtiens à chaque fois la même réponse, à quelques variantes près : _ " Si vous saviez, Monsieur, comme ce pays était agréable autrefois ! ... Il y avait des blancs partout ... On s'invitait les uns les autres ... Les enfants allaient à l'école chez les Frères canadiens ... Ils terminaient leurs études en Europe. Il y avait des Seychellois qui devenaient médecins, avocats, ingénieurs ... "






Lors de notre dernière rencontre, le discours se précise :
_ " Maintenant, tous les blancs qui en avaient la possibilité sont partis à l'étranger. Il ne reste plus que ceux qui, comme moi, ne pouvaient pas payer le voyage. Mais le pays a bien changé ! Regardez : Il n'y a plus que des noirs ! Il y en a partout : Vous ouvrez votre porte, et c'est tout noir à l'extérieur ! "
... Perturbations des grands changements, lorsque tournent les pages de l'histoire ... Pour l'instant, les contrastes sont assez curieux à observer : Un Président de la République blanc, plusieurs Ministres blancs, mais ... parmi les enfants des écoles réunis sur les stades, bien peu de blancs ... Lois du nombre et de la multiplication : La majorité efface les minorités par le métissage ...
Les blancs ont quitté le pays lors de la révolution socialiste qui a nationalisé les terres. Sont demeurés sur place, effectivement ... Ceux qui ne pouvaient pas partir... Et ceux qui ont saisi à ce moment-là l'opportunité d'obtenir une parcelle de pouvoir ... Souvent avec sincérité d'ailleurs, sans doute ...
Le racisme semble ne pas exister dans ce petit pays, ou bien ... Il prend des formes subtiles : Certaines familles ont évité soigneusement le métissage : On y a les yeux bleus, un teint de Normand, et des taches de rousseur. Mais il est vrai que les gens se coudoient dans les écoles et dans les bureaux, sans distinction de couleurs ni de teintes . Garçons et filles, sans distinction aucune travaillent ensemble, rient, dansent ensemble. Le métissage s'est exercé par la force des choses, et s'exerce de plus en plus. Comme en bien des pays, en gommant les caractéristiques excessives, il produit des individus splendides. De ce métissage naît sans doute la tranquillité actuelle, si appréciable.


_ " Que Dieu vous offre la réalisation de tous vos voeux et que ce calme dure "...






















L'ANNIVERSAIRE DU PRESIDENT ...
















En d'autres temps, c'était pour le Queen's Birthday, pour l'anniversaire de la Reine, que les " Maîtres " organisaient une garden-party, autrement dit un pique-nique.
Monsieur le Gouverneur, représentant de Sa Majesté Britannique recevait sur la pelouse de sa résidence. Les fonctionnaires venaient en cabriolet ou en " rickshaw ", c'est à dire en petites voitures tirées à bras. Les hommes portaient jacquette. Leurs épouses s'ornaient de dentelles. Il y avait des jabots, il y avait des éventails, des galons, des capelines et des ombrelles. Les tentes étaient dressées, les estrades installées. Monsieur le Gouverneur prononçait un discours. On portait ensuite des toasts à Sa Majesté. Les tables étaient longues et nappées de blanc. Jus d'orange, tasses de thé ... Les enfants couraient, fillettes enjuponnées, garçons en pantalons. L'orchestre jouait. On dansait ... Comme à Birmingham ...






Il n'y a plus de Gouverneur, mais la pelouse est toujours la même, devant " State House ". La "garden party" est maintenant réservée aux personnes âgées. C'est le Président qui reçoit. Plus de chevaux, plus de "rickshaw", mais on arrive en autobus, réquisitionnés par " Le Parti ". Eventails, chapeaux de paille, dentelles...






Les tentes sont dressées, les sièges alignés, les tables nappées, l'estrade installée. Ballons multicolores, qui éclatent les uns après les autres au soleil, petits drapeaux ... Il y aura un discours ... Il y aura des distributions de cadeaux : Biscuits, chocolats, bouquets et rubans. Les vieillards se félicitent les uns les autres d'être toujours là, d'avoir un an de plus que l'an dernier ... Ils formulent des voeux .
Les anciens aiment leur Président . Ils aiment aussi les gâteaux. _ Allons, cette année, leur retraite sera augmentée de cinquante roupies par mois ... Le pays se porte bien . Cette nation évolue si vite ! ... Il est bon qu'elle songe à ses vieux .
Il y aura de la musique et l'on dansera. Les fillettes offrent des rafraîchissements. ... On croit rêver : C'était hier,
n'est-ce pas ? ... C'était au cinéma , dans un film tourné aux Antilles ou en Louisiane ...
Mêmes fêtes sous les tentes, et c'est le quadrille que l'on danse, et la polka ...


_"Singeries!" grommelait Ronchon.
_"Mais non !


_" On leur a tout pris, aux Européens, leur façon de se nourrir, leurs techniques, leur pays, et même leur Dieu ! " ... Voilà ce qui se disait l'autre jour, au colloque sur la Créolité.
_ " On leur a pris, même, leur langue, pour la transformer et la faire nôtre... Notre nom lui-même, de Créole, nous l'avons sorti du Larousse , nous avons modifié sa signification pour nous l'attribuer ! "
_ Chocolats, biscuits, tasses de thé, jus d'orange ... Dentelles et chapeaux ...
_ " Ce qu'on refuse, c'est leur costume ! "
_ " Nou kapab met Kalson tou sel ! "
_ Pas si sûr, encore ... Mais c'est bien de le vouloir !






















COOPERATION CULTURELLE ...




















Le Centre Culturel français offrait un concert l'autre semaine : On produisait à grands frais le " Quintette de Cuivres de Nantes "
... Le ... Quoi ?
_ Le Quintette de Cuivres de Nantes : C'était écrit sur de longues banderolles de toile tendues au-dessus de la route, armoriées aux couleurs d' Air-France .
Mais pour un Créole des Seychelles ... Un quintette, qu'est-ce que cela peut bien être ? Et des cuivres, qu'est-ce que c'est ? ... Nantes, c'est où ?
Aurait-on oublié que la langue française n'est pas ici la langue maternelle ? ... Du moins, si l'on avait mentionné quelque part qu'il s'agissait de musique !






_ " Les Seychellois n'aiment pas la musique classique ", dit-on.
Il n'y avait effectivement pas grand monde dans la salle, par ailleurs mal ventilée et fort mal-commode. Mais si les Seychellois n'aiment pas ce genre de musique, pour qui donc a-t-on fait tous ces frais ?






_ Toute la communauté française était présente, ou presque : On n'aurait jamais pensé que les Français eussent tant de goût pour la grande musique ! _ Monsieur l'Ambassadeur était là, et Madame ... Le Chef de la Mission de Coopération Culturelle et Technique, son épouse ... Il y avait également l'Ambassadeur de l'Union Soviétique, que l'on avait dûment et officiellement invité. Quelques autres auditeurs encore, d'origines incertaines ... On remarquait une pincée de jeunes Seychellois dans un coin : Les élèves du Conservatoire National ... C'était bien le moins ! ... Il n'y avait pas de Chinois.




_ Chinois ! ... Que nous parlez-vous de Chinois ?
_ Eh bien, la semaine dernière, ce sont deux Chinois qui ont donné concert : Tous deux professeurs au Conservatoire : Excellent concert , de piano et de violon. C'était dans la charmante salle du Théâtre National de Monfleury ... récemment rénovée grâce à des fonds français
_ Ah ! La Culture française, Monsieur !






Donc, les Chinois aussi, ont donné concert. L'assistance était assez peu fournie, quoique plus conséquente que pour le " Quintette de Cuivres de Nantes " ... Les rangées de devant étaient garnies de Chinois ... On jouait Chopin, Mozart, Beethoven, et Wan-Tchou-li. ... Il y avait un Russe dans la salle ... Mais pourquoi y avait-il si peu de Français ?




_ Ah ! Monsieur ! ... La diplomatie !


























CONTROLE DES CHANGES ET MELANGES


















A la fin de chaque année, la Banque Mondiale envoie ses experts. Ils vérifient les comptes de la nation. Les ménagères ont parfois des difficultés à la fin du mois, les gouvernements ont aussi leurs problèmes , tout particulièrement en fin d'exercice budgétaire ...


En conséquence, et pour la deuxième année, les consommateurs assistent à un contingentement des importations : Il s'agit, bien sûr, de limiter les sorties de devises . Les produits alimentaires ont été classifiés : Les fromages sont taxés comme articles de luxe ... Cela importe peu aux " indigènes " : Ils n'en consomment guère ... si ce n'est l'affreux "Cheddar" australien au goût de savonnette... Mais j'entends les Français glapir pour leur Brie ou leur Camembert ! ... Qu'importe ? ... Ils n'en consommeront pas moins ! Ils ne se priveront pas plus de commander, pour les fêtes de fin d'année, des chocolats, des endives et des huîtres.
... Même aussi loin de la mère-patrie, il n'y a pas de réveillon sans foie-gras du Périgord !
_Certaines coûtumes reviennent moins cher : Je connais une Polonaise qui, cette année encore, offrira à son Breton de mari des oeufs durs dans un bouillon de betteraves rouges ... Elle y a du mérite : La betterave est rare et il faut, pour en obtenir un nombre suffisant, les collectionner une à une, au fur et à mesure des arrivages ...






Les prix des alcools sont prohibitifs : Cela n'empêchera personne d'en boire. Mais en ce qui concerne les alcools, les choses vont à l'inverse de ce qui se passe pour les fromages : Ce ne sont pas les expatriés qui paieront le prix-fort ... Les valises-diplomatiques servent à quelque chose ! ... Les habitués des lignes aériennes n'ont pas manqué, d'ailleurs, de s'approvisionner préventivement, en passant dans les boutiques hors-taxes.








Comme l'année dernière, et depuis novembre, les importations de voitures sont interdites. Cela fait l'affaire des petits mécaniciens bricoleurs installés sous les arbres, au bord de la route :
_ " Importez des pièces de rechange, plutôt que des automobiles neuves ! "
Les importateurs, eux, sont moins heureux ! ... Bonheur des uns, malheur des autres ! ... Egalement heureux : Les carrossiers _ Ici, les carrosseries portent plus d'emplâtres que de tôle !
... Sans doute aussi peut-on dire que l'arrêt des importations est de nature à ralentir la progression des encombrements routiers ... Pour un temps ! ... Les routes sont sinueuses et étroite, les carrefours dangereux ...
Sacro_Saints week-ends ! ... La sortie des bureaux, le vendredi soir, encombre dejà la voie publique ...








A propos d'encombrement ... Je veux vous conter ce que j'ai vu en ville, mardi dernier en plein milieu de la matinée ...
Queue de véhicules depuis l"horloge jusqu'au carrefour de la Libération ...Bouchon ... Cuisson lente des conducteurs à leur volant, sous le soleil. On garde sa dignité et son flegme, sinon son humour ... On finit cependant par se poser des questions, car cela dure ... Des portières s'ouvrent ... On descend sur la chaussée pour s'informer ... Silence ... Un chien noir se couche à l'ombre d'un camion. Deux touristes en Mini-Moke essaient de déboîter pour remonter la file ... En vain !
... Girophare au bout de l'avenue, sur un camion rouge ... Camion rouge ? _ Les pompiers ! Passent, en direction de la station-service, quatre pompiers avec des bidons vides : Le camion des pompiers est en panne d'essence ! ... C'est lui qui bloque la circulation ! _ Pour quel incendie l'attendait-on quelque part?


... Fît-on mieux, à Landivisiaux ou Barbezieux ... ?








































FESTIVITES NATIONALES ET RELIGIEUSES
















C'était hier le jour de l'Assomption et la fête nationale. Flaubert était à Victoria, et Félicité sans doute dans quelque galetas.
La procession défilait avec croix, bannières, surplis, pistons et tubas. Monseigneur avait mître en tête, et portait la crosse épiscopale. Les enscensoirs balançaient, les chorales chantaient. Plusieurs milliers de personnes étaient là. Pantalons gris, chemises blanches, ventres arrogants ou ventres plats, chapeaux de feutre ... Les messieurs chantaient à pleins poumons, comme aussi les dames, leurs épouses. Celles-ci portaient toilette : Jeunes en souliers à talons hauts, vieilles en souliers bas, les unes en jupes plates, les autres en robes à ramages et bibis blancs.Les grandes -mères à la taille la plus lourde étaient aussi celles qui arboraient le plus de froufrous, de tulles, de voilages, de dentelles ... en jaune, en mauve, en vert ... décolletés et importants avantages.






La messe est dite dans l'enclos, face à la cathédrale : Cinq prêtres,l'un athlétique, le second petit et barbu, les uns au visage clair, d'autres au visage sombre. Chasubles immaculées, brodées de rouge. Monseigneur bedonne. Les communiants de l'année sont là, sur le gazon : Les garçons portent costume et brassard ... Comme à Yvetot ! Les filles portent de véritables robes de petites mariées, à volants, à plissés, à bouillonnés de satin. Elles portent bas blancs et demi-talons, leur front est ceint d'une couronne...








Voici les soeurs qui défilent en groupes constitués portant bannières : Soeurs en blouses blanches, venues d'Irlande, soeurs aux voiles bordés de lignes bleues, venues de l'Inde, et qui ont le teint bistre. Soeurs en bure brune, enfin, et à faces noires ... Servantes de Dieu et servantes des hommes .
Les bannières sont de soie, brodées comme en pays cauchois ... de coeurs, de devises, de fleurs et de croix.
Fleurs sur l'autel, pour la messe concélébrée . Orgue électronique, clarinettes, hautbois. L' office est dit en Français, les chants et les litanies aussi.Les sermons sont prononcés en langue créole.




_ Merveilles du récit de la Genèse :




_" Le Seigneur Dieu appela l'homme et lui demanda : _ Où es-tu ? ... L'homme répondit : _" Je t'ai entendu dans le jardin. J'ai eu peur, car je suis nu, et je me suis caché". _ "Qui t'a appris que tu es nu ?" demanda le Seigneur-Dieu ? "Aurais-tu goûté au fruit que je t'avais défendu de manger ? "




... Merveille, encore bien plus grande, d'entendre, en Français cette parole de Dieu, sous les frangipanniers et sous les flamboyants !
_ " Abraham ! _ A tes descendants, je donne ce pays, depuis le torrent d'Egypte jusqu'à l'Euphrate. "




... Parole de Dieu, lue par des Créoles, sur un îlot de l'Océan _ Indien ... Tandis que là-bas, en Palestine, des gamins lapident les soldats des Juifs ... Merveille de l'identification au " Peuple élu ", en tant de lieux, sous tant de cieux, à travers les lustres et les siècles ...
_ O ! Peuple créole, chantant Jérusalem !


_ " Loué soit le Seigneur !"


_ Les répons alternent, entre la chorale et le peuple... Coupons de tissus bleu-ciel, pendus à la façade de l'église-cathédrale... Dirons-nous les pieds douloureux, gonflés, et les chaussures que l'on ôte ? Dirons-nous les vieillards qui se redressent, les dents déchaussées, les mentons en galoches, les doigts tordus, égrenant des chapelets ? Ici, ils sont les mêmes qu'à Rouen ou à Grand_Quévilly ! ... Le commerçant florissant chante afin que ses pêchés lui soient remis ... La postière, le chauffeur, la grand'mère au teint clair et celle au visage noir , la vendeuse de courges, le marin, le fils du Commissaire, celui du laboureur ... Ils sont tous ici ... Et les enfants des écoles avec leurs professeurs, tous en uniformes .










Ils sont là, chantant la gloire d'Israël et de son Dieu. La procession se forme : croix, bannières, enfants, poussettes et landaus, les religieuses, la fanfare et la foule. En queue du cortège : La statue de la Vierge ... aussi sulpicienne que celle de Trouville ! Chants, fleurs, cuivres et encens ... La tête du défilé revient déjà, alors que la queue ne s'est pas encore ébranlée.
On n'entend presque rien que du Français ... entrecoupé de Créole ... Il n'y eut pourtant ici que quarante années de domination française ... achevée en mille huit cent dix !


_ Mais que sera demain ? Il m'a semblé voir là plus de vieux que de jeunes, si l'on excepte les écoliers venus en corps constitués. Mais combien y avait-il de jeunes dans la force de l'âge ?
_ Il y en avait, il y en avait ... Et les bébés étaient si beaux dans leurs atours! ... L' âge venu, chanteront-ils en Français comme leurs grands-parents ? _ Mais qu'exigerions-nous ?
_ En pays normand, chante-t-on encore , de reposoir en reposoir, le Dieu des Juifs et d' Israël ? _ Le chante-t-on toujours à la Nouvelle-Orléans ?




































LA COMMUNAUTE FRANCAISE ...






















Monsieur Delhomme se distingue d'abord à la voix, qu'il a forte et de bronze. L' entendant, on cherche le personnage ...
On le découvre trapu, tassé un peu, le cou épais, les bras ballants, le ventre en besace. Il doit avoir environ soixante cinq ans. Si la voix n'est pas toujours bien placée, c'est qu'il est assez sourd. Il porte un appareil accoustique dans le creux de l'oreille droite.
On vous le présente, et c'est tout un livre d'aventures qui s'ouvre ... On dit que Monsieur Delhomme était autrefois chauffeur de taxi à Paris. Mais ceci, ce sont les autres qui le disent ...
C'est curieux tout de même ... Mon imagination en faisait ... Un conducteur d'autobus ! _






Monsieur Delhomme, André, est bien Français, et bien parisien. Il est aux Seychelles depuis mille neuf cent quarante sept ! _ C'est à dire depuis quarante trois ans au moment où je le rencontre.
_ Mille neuf cent quarante sept, mais c'était encore tout juste l'après guerre !








_ " Oui, je suis venu jusqu'ici en empruntant tous les moyens de transport imaginables ... Pensez donc : J'avais pour ami Georges Bidault ... Nous avons été condisciples à Louis_Legrand ..."


_ A Louis_Legrand ?


_ " Il m'a trouvé de la place dans un avion jusqu'à Djibouti. Ensuite ... Le train ... La piste ... Le bateau ...Et j'arrive aux Seychelles !


_ L'homme est lancé ; Il ne s'interrompra plus ... En bénéficiera qui voudra, tout à l'entour ...


_ " En mille neuf cent quarante sept, à Paris, je fais la connaissance d'une Seychelloise. Elle était malade ... Une maladie incurable : Une sclérose dermique. Je me suis occupé d'elle. Pour la distraire, je la sortais en voiture : J'avais des bons d'essence, et l'on me prêtait une auto . Un jour, elle m'annonce qu'elle doit repartir aux Seychelles : Il faut qu'elle s'occupe de son patrimoine ... Son patrimoine était important ... Elle ne voulait pas voyager seule : Elle me propose le mariage ... Et nous voila partis !
La maladie s'est agravée. Celà s'est fait très vite : Ma femme est morte en fin quarante sept. Elle m'avait fait son légataire : Je me retrouve propriétaire de quatre îles dans l'Océan-Indien : Desroches, Poivre, Providence et Coëtivy !
Je suis resté. Je naviguais d'une île à l'autre, sur des goëlettes, parcourant des milliers de milles, surveillant mes établissements . Un jour ... Le Gouvernement seychellois exerçant des pressions, je lui ai tout vendu, à très bas prix.
Je me suis remarié. Mon épouse est médecin : Le dernier médecin autorisé à pratiquer la médecine libérale en ce pays. Nous sommes en semi-retraite maintenant : Le cabinet médical n'est ouvert que de six heures du matin à onze heures.






Monsieur Delhomme a deux filles, également médecins, mais ... en Europe. Il possède encore une agence de voyages. Il a été représentant consulaire de la France, quand il n'y avait pas d'ambassade à Victoria. Il a été Président de l'Alliance Française ... au temps où il y en avait une. Il a l'art, paraît-il, de très bien raconter les évènements du passé : Le coup d'état de Mille neuf cent soixante dix sept, par exemple, ou bien la tentative de débarquement des mercenaires, en mille neuf cent quatre vingt un ...












































MODELE DE GOUVERNEMENT ...














Le problème de ces petites sociétés, c'est celui de la plupart des familles : Tout repose sur le charisme du "Père" et la fidélité des autres ... Grâce au contact direct, chacun conserve l'espoir d'être, ou de devenir, l'enfant préféré. On en voit bien les limites et les risques.


Dans chaque district, à tour de rôle, le dimanche, le Parti réunit le Peuple. Chacun peut, directement, s'adresser au Président de la République. On parle de quoi ?
_ Des chemins qu'il faudrait refaire.
_ Du téléphone dont on attend le branchement depuis si longtemps.
_ De l'autobus, dont les passages sont trop rares.
_ On se plaint de certains maîtres d'école, que l'on soupçonne de manquer de coeur à l'ouvrage.
_ On expose surtout les difficultés à se loger : ... Pour avoir un appartement, il faut parfois attendre plusieurs années ... Et puis, les logements ! ... Pas un pouce de terrain pour y faire pousser un pied de piment !


Le Président écoute. Il est accompagné de quelques Ministres et de quelques hauts-fonctionnaires.
_ " Mwa va guet là-d'dan. " _ Réponse rituelle, que le public attend et dont il rit parfois , tant elle revient souvent ! Elle signifie que l'on va s'informer, que l'on va voir ce que l'on peut faire








... Ce type de démocratie a ses mérites : Il y faut du courage. Mais, au fil des semaines, on voit bien s'affûter les langues : Les vieilles ne s'en laissent pas conter et contestent les passe-droits et les privilèges supposés. Les jeunes commencent peut-être à s'inquiéter de l'avenir : Ils n'ont pas, comme les anciens, de passé qui sert de référence au progrès ... Dès lors, comment mesurer ce dernier et comment savoir patienter ?
Pour l'instant, cependant, le discours du Président est reçu dans le calme : Il ne fait aucun doute que le Chef de Famille garde la confiance de ses enfants. Les jeunes paraissent croire encore, dans l'ensemble, aux lendemains qui chantent.


_ " Voyez, leur dit-on, ce que vous montre la télévision : Dans le monde, il n'y a que guerres, révolutions, crimes et famines. Remerciez votre Président pour le calme de votre pays et pour votre bonheur. "


_ L'état de la nation est bon, c'est vrai : La manne internationale tombe toujours; le tourisme et la pêche font rentrer des devises... Le revenu par habitant est le même qu'au Portugal, pays membre de la Communauté Economique Européenne.
Dans le même océan que celui où sont ancrées les Seychelles, Madagascar souffre du choléra, de la peste et de la faim ...


Mais le problème de ce type de gouvernement, c'est celui sur lequel on achoppe souvent au sein d'une famille: On s'échauffe aisément dans les discussions autour de la table.






On entend protester contre le prix trop faible du porc, acheté sur pied par le magasin d'Etat ...
Un ivrogne tempête,parce que ... ( Incroyable mais vrai ! ) ... L'adduction d'eau tarde à venir jusqu'à sa case !
_ Le Père est là ... C'est à lui que l'on s'en prend, et les réponses qu'il apporte ne peuvent pas toujours satisfaire tout le monde.
_ On entendait l'autre soir un jeune homme, coiffé " à l'affro ", se plaindre, sans trop de véhémence encore, parceque la culture du cannabis est interdite...
Qui pourrait jurer que jamais une révolution ne sortira pour une affaire de poubelles renversées par les éboueurs ? _ C'est toujours l'Etat qui est responsable ... Donc le Président !
... Un jour, pour s'accomplir, les " fils " ont besoin de " tuer le père "... ( N'est-ce pas, Monsieur Freud ? )
Des tracts étaient déposés dans les voitures, l'autre soir : Ce n'était pas la première fois . Les télécopieurs reçoivent leur charge de propagande, expédiée par les opposants en exil ( Allez donc les en empêcher ! ) ... Un prêtre anglican, l'autre jour, prêchait sur la voix des ondes et ne se privait pas de porter de très graves accusations ...
Le pays est calme cependant, et les avions gros-porteurs amènent régulièrement leurs groupes de touristes adorateurs du soleil. En janvier prochain, pourtant, le Congrès National du Parti sera placé devant d'importantes décisions à prendre : Aux termes de la constitution, le Président n'est rééligible que trois fois. Cette année devrait donc être la dernière pour l'actuel Président ... A moins d'une modification de la constitution ...
On peut trouver là quelques explications aux remous qui agitent l'opposition ... On peut aussi trouver là quelques explications à cette frénésie de dialogue, un district après l'autre, et un dimanche après l'autre.


... Mais la mer, là-bas, déroule ses coupons et froisse ses soieries ...




















LA COMMUNAUTE FRANCAISE,(SUITE...)






















Un cours bordé de platanes. Deux tours d'une monumentale église à jamais inachevée : Saint_jean d'Angély, Charente-Maritime, France.
Souvent, dans la région, les murs sont gravés de vaisseaux-de-haut-bord ... Dans le jardin de la maison où naquit Jean-Louis Marchesseau, peut-être y en avait-il un, à la margelle du puits ? ... Imaginons le navire, sur la margelle du puits ...






Jean-Louis Marchesseau devint informaticien. _ Sans doute cependant avait-il embarqué dans ses rêves depuis longtemps ... Brick, goëlette, ou frégate ? _ Le bateau court sous le vent, pour peu qu'on le laisse aller ... C'est ainsi qu'on arrive aux Seychelles un jour, tout simplement.
_ Un, puis deux, puis trois voyages ... Notre informaticien travaille beaucoup : Il dépanne des systèmes de guidage, des ordinateurs ... Il y passe beaucoup de soirées, beaucoup de dimanches, allant là où on l'appelle. Il récupère ses heures supplémentaires en jours de congés : C'est pourquoi il a de longues vacances, et c'est pourquoi il voyage ... Evidemment, le temps n'est plus aux goëlettes ... On arrive par avion, d'un seul coup d'ailes ... Qu'importe !


... Le rêve : Bonne-Espérance, Bourbon et l'Ile-de-France, la Route-des-Indes, bateaux chargés d'épices, pirates et corsaires ... Le trésor de La Buse !




_ " Il y a douze ans, lorsque je me suis installé définitivement, les Seychelles, c'était le Paradis ! "






Longues vacances donc, et il faut bien s'occuper : Jean-Louis Marchesseau construit des maquettes de bateaux. Il recrute des apprentis ..." calice-du-Pape ", " bois-noir ", " sang-dragon ", " gayac " : Les bois sont splendides !






_ Un beau matin, Jean-Louis Marchesseau, passant à Saint-Jean-d'Angély entre deux missions, s'arrête et considère :
_ Circuits-imprimés, " puces" et " mémoires-vives " ... Il en deviendra fou, un jour !
... Alors il revient au vaisseau gravé à la margelle du puits ...C'est peut-être un matin de printemps ?
_ Ah ! Faire tomber les murs du jardin, abattre les portes ! ... Sans doute la tête lui tourne, tandis que sonnent les cloches ... Il rêve aux océans bleus et aux fleurs des hibiscus ... Un peu plus fort que d'habitude ...
Il embarque et coupe les amarres ... Il mouille l'ancre à Mahé, au pied des rochers de granit.
_ On ouvre un atelier où l'on construit des maquettes, sur les plans du Musée parisien de la Marine ...








_ " L'une de mes maquettes, à la Salle Drouot, s'est vendue un jour ... Deux fois et demie le prix que je l'avais vendue ! _ Nous avons atteint le niveau de qualité des constructeurs hollandais, ce qui n'est pas peu dire ! "


Il calcule tout ... à l'ordinateur ! ... Même les dimensions des poulies et le diamètre des câbles sont calculés à l'échelle.








Cependant, en ce moment, il installe un deuxième atelier à Madagascar :


_ " Mais je n'abandonnerai pas les Seychelles ! _ J'y ai trop investi en capital et en travail. Et puis je suis trop attaché à ma maison, à La Digue ! "






... Mahé, La Digue, Madagascar, souvent Maurice et La Réunion ... Allons ... Le vaisseau n'est pas près d'arrêter de naviguer ! ... Il est vrai que, sa compagne étant hôtesse de l'air, je crois bien que Jean-Louis bénéficie de billets d'avion à prix réduit : Cela aide, pour faire le démarchage et vendre les produits !
































REVERIES ...


















Un arbuste se tord à l'angle de ma terrasse, hérissé sur fond de ciel et d'océan. Pour fleurs, il porte des oiseaux, rouges comme fleurs de grenadier. Leur nombre varie selon les heures.
Le matin, il n'y a que quelques rares corolles. Le soir, vers cinq heures, les rameaux en portent bien plus. Si je lance quelques poignées de riz, toutes les fleurs se laissent choir sur le gazon : Il s'agissait bien d'oiseaux !
Si je prends quelque retard pour faire la distribution de grain, un oiseau ou deux viennent se percher sur le dossier du fauteuil.
_ Ce sont des cardinaux ... Ils ont l'oeil bordé de noir ... Leur poitrail est écarlate. Ils inclinent la tête de droite, puis de gauche :


_ " Allons, c'est l'heure ... Va chercher le riz."


Tout de suite, c'est un grésillement d'oiseaux, à deux pas de moi. Voici une tourterelle, toute petite et très fine. Sa plume est bleutée. Tout à l'heure, elle se rengorgeait sur un fil électrique, flûtant sur deux notes roulées.
_ Est-ce que j'ai fait un geste trop brusque ? La lumière a-t-elle eu un éclat ?
_ Rien, ou presque ... Mais tout le monde s'enfuit, dans un bruit de soie froissée ... Pour revenir à l'instant.




Un chat guette parfois. Son poil est noir et luisant. Mais le chat n'est pas admis dans mon jardin : Les martins le repèrent . Ils protestent, caquettent, grognent, grincent et couinent ... Le chat s'en va en essayant de préserver sa dignité.


_ Un petit garçon escalade le talus à quatre pattes. Je le connais. Je sais d'où il vient. Il écarte un peu la citronnelle des bordures. Il montre sa frimousse. Il a le teint cuivré, les yeux noirs, les cheveux plats. C'est un petit Malabar . Il est beau comme un Jésus. Jamais il n'approche plus près ...
Le voilà parti !
_ Je sais où il va, dansant, plutôt que marchant ...
Il descend le chemin ... Je crois bien qu'il chante ... Et peut-être bien qu'un oiseau est posé sur sa main ?
... Une cloche carillonne. Le vent est doux, chargé d'odeur de cannelle. C'est demain Noël ... La mer respire, là-bas, derrière les palmes ... L'enfant saute sur un pied. Il disparaît au détour du chemin ... Je sais où il va.


Il est maintenant sur la plage, sans aucun doute. Il est assis, là où le sable blanc est sec. Ses genoux sont relevés ... Il enlève ses sandales. Le soleil couchant éclaire la mer. On jurerait qu'à la surface, des milliers d'anchois frétillent. L'eau est rose, prenant, ici ou là, des teintes plus sombres . Sa surface est lisse. C'est comme un fabuleux tapis persan.
Le soleil glisse derrière l'île qui se trouve en face. Elle devient plus sombre, plus acérée aussi ... C'est probablement pour cela qu'on l'a baptisée Silhouette...
Je sais que brille une guirlande, là où le flux mouille le sable. Je sais que l'enfant s'avance.


Il se baisse, saisissant à deux mains la frange de la mer ... Il soulève ... Comme on soulèverait un drap.
Le voilà debout, tenant haut la toile... En se penchant, il regarde sous la mer. Je sais ce qu'il voit : Devant lui, le chemin, le chemin des étoiles de mer ... Bordé de lutins, d'angelots et d'apsaras ...
Au lointain, sous la mer, des cathédrales élèvent leurs flêches, des basiliques leurs dômes, des mosquées leurs minarets. Des pagodes montrent leurs toits cornus, dorés à l'or fin. Tout autour de ces bâtiments féériques, les poissons font des farandoles : Ils entrent par les fenêtres, ressortent par les portes. Les cloches sonnent ... On entend résonner les gongs ... Un muezzin module sa prière ... Les vagues font murmurer les grandes orgues, puissamment
_ Palais d'Acapulco, de Paris, de Westminster, d'Angkor, de Byzance et de Jérusalem ... Des cavaliers passent dans les allées, revêtus de longs manteaux versicolores... Aux branches des coraux pendent des coquillages... Demain, c'est Noël !
_ Voici le chemin des étoiles de mer ... Comme une voie lactée. L'enfant laisse retomber le drap derrière lui. Il avance. Sur la plage, maintenant, il n'y a plus que le sable.
L'océan est devenu halogène : Il prend des teintes de fluor. On dirait que, de l'intérieur, il s'éclaire ... Depuis longtemps, le soleil s'est noyé. Je crois bien qu'on entend les cloches encore ...






N'ayez pas peur ... Demain, c'est Noël !


































EN MANIERE DE PORTRAIT CHINOIS...




D'UNE CREOLE.
























Le coquelicot, si elle était fleur, ou le pavot, mais le bluet aussi, dans tous ses jupons ... Robes de soie au tulle léger .


Le sifilet, si elle était un oiseau, pour l'élégance, mais aussi le colibri pour la gaîté, le cardinal pour son éclat.


Matière ? _ L'ambre, sans hésitation, transparent et magnétique, dur, miel, prière aux doigts du pélerin, ... Mais aussi le bois de palissandre, doux et chaud, brun ... L'escarboucle encore, aux éclats du grenat ou du rubis.


De muscade et de cannelle, si elle était parfum, avec poivre et vanille, piment aussi...


L'eau qui frémit, mais aussi le rhum blond des îles, le vin, au calice de l'office ...
Mais la mer, bleue comme le vin, là-bas, là où voguaient naguère les grands trois-mâts.






Exultation des grands poissons pélagiques, jaillissant en plein ciel, dans les gerbes de blancs oiseaux fous.


Tête fière, jambe fine : gazelle.


Mais la libellule aux yeux à facettes multiples, ailes quadruples, fines nervures.


Musique de Gershwin.


Ambre : Résine fossile, jaune ou rougeâtre, provenant des grands conifères de l'oligocène. Des insectes délicats y sont parfois inclus. Matière recherchée en ébénisterie et en bijouterie.






Vingt deux ans peut-être, guère plus. Elle porte robe-corolle sous laquelle mousse un tulle noir. Menue, mais dansant sur chaussures à talons-hauts. Elle a les yeux mobiles, tour à tour enjoleurs, puis étonnés. Elle est Créole : De père à la peau sombre, et de mère à la peau claire. Elle a la peau dorée et chaude.


Elle a une soeur qui est mariée à Paris, une autre qui vit avec un Suisse, en Suisse ... Mais dont le fils est né d'un Arabe. Elle a aussi un frère en italie. Deux autres soeurs travaillent aux Seychelles, dans l'hôtellerie. Ayant voyagé en France, en Suisse et en Italie, elle a fait décrêper ses cheveux. Elle raconte les foules, les autobus, les taxis ... Et les pizzas ... Les boutiques aussi.




Elle parle le Créole, mais aussi le Français, l'Anglais, l'Italien... Un peu d'Allemand aussi ... Elle enseigne les trois premières de ces langues dans une école Seychelloise.
Avec nous, elle parle, parle, papote, babille... Elle avoue sa préférence pour la pizza " Margherita " ... " Avec des
champignons ! " et puis, tout à trac, elle vous demande, tout simplement :


_" Vous croyez à la Résurrection et à la Vie Eternelle ? "
Au moment où elle m'a posé cette question, je conduisais, elle était assise à l'arrière de la voiture ... Il me fallait pourtant bien répondre !
Sans reprendre souffle, elle s'est mise alors à me parler de Madame Bovary : Elle l'étudie dans le cadre de ses études : Elle vise un diplôme qui lui permettrait d'obtenir une bourse pour repartir à Paris ...






L'autre jour, elle a gagné un billet d'avion pour aller au Kenya, à l'occasion d'une tombola :


_ " J'irai plus tard. Cette année, j'ai prévu d'aller en France, pour vérifier si je m'y plairais. "






Parfois, elle a du mal à comprendre les moeurs des Français du Second-Empire ... Elle m'apporte alors son Flaubert ... Les commices agricoles et les processions, elle connaît : On en a hérité ici ! Vive, intelligente, elle rêve un peu à l'éclat des lustres, aux plissés des tentures, aux plaisirs des bals et des dîners...


L'autre soir, veille de Noël, elle nous a invités au restaurant. Elle a terminé la soirée avec le cuisinier philippin ( Mais devenu, en lisant Bocuse, "spécialiste de cuisine française" ... )


_ " Si je ne rentre pas avec vous ... Vous ne serez pas fâchés ? "


Elle avait eu une journée inquiète :


_ " Figurez vous qu'il y a eu une longue panne d'électricité : J'ai téléphoné cinq fois à l'usine pour savoir si cette panne allait se prolonger longtemps : J'avais beau leur expliquer que je sortais ce soir et que j'avais ma robe à repasser ! "








































LA COMMUNAUTE FRANCAISE ....


PORTRAIT D'UNE COOPERANTE.




















Elle est apparue d'un coup : Clac !... Comme ça ! ... Venue sur un petit nuage.


Elle était dans un fauteuil en rotin, vêtue de coton froissé. On n'avait disposé qu'un seul couvert à sa table nappée de blanc.
Port très droit, menton haut. Ses doigts tambourinaient, sans aucun bruit perceptible : Les doigts de la main gauche. Jeune, de l'allure, un chignon sévère, mais non sans charme.






Elle était en lévitation. Evidemment, la première fois, cela surprend ! Sa table était placée dans l'angle de la terrasse, à l'endroit où celle-ci, surélevée, prend un peu une allure d'estrade : Il faut monter une marche pour accéder là. Les pieds de la table reposaient bien sur le sol, comme il se doit, mais pas ceux du fauteuil.
Elle avait déjà ses habitudes à l'auberge, étant là depuis quelques jours. Nous avons fait connaissance.




Je crois bien que c'est depuis sa naissance, qu'elle est sur son petit nuage : Son papa et sa maman ont dû l'y déposer très vite, et très précieusement. Je suppose qu'ils ont dû veiller ensuite avec assiduité à ce qu'elle n'en redescendît point. Ils sont instituteurs tous les deux.
Scolarité sans histoires : La petite est intelligente. Baccalauréat avec mention, tandis que d'autres lançaient des pavés au Quartier-Latin. Licence, agrégation de grammaire, le tout dans le même élan. Les agrégatifs, cette année-là, planchaient sur Madame Bovary ... Au Cambodge, on découvrait les massacres des Khmers-Rouges.






Mais revenons à notre première rencontre ... Elle était en lévitation, je l'ai dit ... A quelques centimètres seulement du sol ... Mais quand même !
Elle s'aperçut que je la regardais : Sa gorge rougit. Son fauteuil descendit d'un cran, d'un seul coup. Il n'alla point jusqu'à toucher le sol cependant ... Son menton trembla ... Ses doigts émiettaient du pain. On eût dit, un peu, qu'on la surprenait en train de chipper des confitures. Alors, le fauteuil entreprit une série de curieux mouvements : Un cran après l'autre, il montait, puis redescendait. Parfois il sautait plusieurs crans à la fois ... Siège et personne s'immobilisèrent enfin à un niveau moyen ... On eut dit que rien ne s'était produit. Son regard passait par-dessus ma tête : A trois doigts ...






Je la connais mieux aujourd'hui. Je sais qu'elle est réellement arrivée ici ... Comme ça : Clac ! Sans presque s'en rendre compte elle-même ! Quelqu'un dirait qu'elle était arrivée là " sans toucher les bords " ! ... Il me faut réfléchir au bien-fondé de la formule ...
Naguère, elle eut un mari, qui avait été au préalable son ami d'enfance. Il monta sur le petit nuage en sa compagnie. Il y resta quelque temps : Le temps d'une glissade au Maroc, puis jusqu'au Togo. Il passa lui-aussi le concours de l'agrégation.
Elle s'aperçut trop tard qu'il descendait en route. C'est à ce moment-là qu'elle se rendit compte qu'elle tenait à lui... Elle écrit beaucoup : A son papa, à sa maman, à son mari aussi, bien qu'une procédure de divorce soit en cours ...






Paris pendant un an, dans une griserie de spectacles et d'activités culturelles ... Ensuite, elle devait partir en Chine pour le compte des services d'action culturelle du Ministère des Affaires Etrangères ...
On tuait, à ce moment-là, sur la Place Tien-An-Men ... C'est pourquoi, au lieu d'aller en Chine, elle est arrivée aux ïles Seychelles.
Je crois que nous sommes amis. J'observe son petit nuage : Parfois il vire au rose, parfois il vire au gris. Je la trouve souvent encore en lévitation, mais parfois il lui arrive de redescendre à terre pendant que je lui parle ... On dirait que c'est par inadvertance ... C'est très étrange alors : Dès que ses pieds touchent le sol, elle est toute nue ... Comme ça ... D'un seul coup!


C'est d'ailleurs une fausse-maigre. Elle est plutôt bien faite. Sa poitrine est menue, avec une discrète envie près du sein droit. Dès qu'elle s'aperçoit que je la vois, elle reprend de l'altitude : La voici de nouveau vêtue.
Elle a pêché un Créole ici, dès son arrivée. Il a les épaules larges et la poitrine puissante, le teint clair, les yeux bleus, la barbe blonde, fine et bouclée. On dirait un dieu du Rhin : Il a vingt ans.


_ " Il me fait penser à mes neveux ..."


Elle s'est mis en tête d'assurer l'avenir de ce garçon sans instruction ni parchemin ...


_ " Je n'ai pas d'enfant ... Ma vie servira peut-être ainsi à quelque chose ! "
_ Le gars, certainement, a tiré le gros-lot : Jolie femme, libre, intelligente et douce ... Maison au bord de l'eau, comme on en voit au cinéma ... Une voiture neuve, le vivre et le couvert, une femme de ménage pour l'entretien du linge ...Il vient de se faire offrir le bateau dont il rêvait : Avec deux moteurs de cent quinze chevaux.


_ " Je voudrais tant lui donner un métier, un but ! "


Lui, vous explique : _ " Ici, je mettrai les sièges, là, le réservoir ... On achètera les moulinets et les cannes ... "
_ Vous savez combien celà consomme de carburant, ces moteurs ?
_ " Je te rembourserai. "


Un ami servira de rabatteur : Il travaille dans une agence de tourisme : On fera du charter pour la pêche au gros ...


Ma chère Laurence, de tout mon coeur, je vous souhaite le succès. Pourtant, songez-y, l'alisé est régulier : Un jour il déplace les nuages ... Inexorablement ... Il vous faudra bien vivre encore ...


























HISTOIRE DE MER ...




























Il y a un arbre couché, énorme. Un arbre entier, apporté par la tempête.
_ " Ils viennent de la grande île, dans le Sud, très loin d'ici : Les tempêtes les arrachent, les courants les mènent ici, après des dérives qui durent parfois des mois, parfois des années. "
Le vieux disait que les grands poissons s'assemblent sous les troncs qui dérivent ...


_ " C'est là qu'il faut chercher les thons. "


Cet arbre-ci avait franchi le récif. On ne voyait que ses racines tordues, noueuses, raides, blanchies, corrodées et polies : Tentacules pétrifiés d'une énorme zourite cramponnée dans le sable. Veines violettes ou roses.
Le lagon scintille de lumière. Le tronc, on le distingue sous les eaux. Un moignon de branche crêve la surface. Il y pend des bouquets d'anatifs ... La dérive a été longue.


Le garçon est assis sur le sable, dans l'eau jusqu'à la ceinture. Il incline la tête sur la poitrine. Sa main droite, ouverte, descend sur son bras gauche, doucement, de l'épaule au poignet. Elle caresse une longue estafilade. La peau a la couleur de la cannelle, avec un fin duvet blond. L'enfant a neuf ans. Il reste immobile.






Deux sternes blancs manoeuvrent et glissent sur l'aile, comme à la parade : Longs virages, brusques montées ... Ils volent tous deux à la même vitesse, en conservant la même distance l'un par rapport à l'autre ... Le soleil encore haut les fait paraître éclatants. Silence ... Hormis le roulement sourd et continu de l'océan sur le récif. Mais calme : La vague ne brise pas. Sable blond, à gros grains coquilliers. La laisse de haute mer est bordée d'un cordon sombre, constitué de noix de badamier, d'algues, de bouts de bois, de noix de coco et de choses indéfinissables ... A la laisse de basse mer, autre cordon à peu près semblable. Entre les deux, le sable est mouillé.
La pleine mer prochaine, peut-être, emportera l'arbre, à moins que ce ne soient les rouleaux d'une forte tempête, Dieu sait quand ! ... Le garçon relève la tête. Ses yeux se perdent dans le ciel. Il reste ainsi longtemps. Puis, comme il a soif, il remonte la pente douce. Sur le sable, il n'y a pas d'autres empreintes que les siennes.
Il y a déjà trois jours que la tempête est passée : La citerne est renversée. Les chevrons qui la portaient ne sont plus que du bois brisé. La case a disparu complètement, elle : Le vent l'aura chavirée, roulée, disloquée. Il reste quatre cailloux : La case était juchée dessus, un peu de guingois. Une tôle s'est fichée dans le tronc d'un arbre. Elle pend verticalement.
Quelque part sur l'île, un chien hurle à la mort. Le garçon creuse le sable : Le vieux disait :


_ "Autrefois, quand on n'avait pas de citerne, on creusait dans le sable. Il y a de l'eau en-dessous."






Pendant trois jours, il a cherché le vieux ... Il a appelé. Il a bu l'eau de pluie, rassemblée dans les demi-noix de coco qui traînaient ici ou là. Il a mangé les amandes. On n'entendait que le chien, rendu fou par la tempête et qui hurlait : Il devait se sauver au fur et à mesure que le garçon approchait de lui ... Le vieux était blessé peut-être : La chute d'une branche ... Un faux-pas dans les rochers ? ... Mais pourquoi ne répondait-il pas ? _ A l'intérieur de l'île, c'était la désolation : troncs abattus, débris ... Les cocotiers encore debout n'avaient plus de palmes.
O ! La pluie ! _ Celà avait été comme au déluge, que racontait le prêtre dans la salle de l'école : Un bruit continu ... Et l'averse à pleins seaux, pendant toute une journée ... Il s'était abrité comme il l'avait pu, à l'autre bout de l'île, sous une tôle de l'abri à coprah : Tout ce qui restait de celui-ci ! Puis le vent avait emporté la tôle; il s'était alors caché sous un buisson que le Diable secouait ...








C'est en revenant le lendemain matin qu'il s'était aperçu que la case avait disparu et que le vieux n'était plus là. Une gamelle renversée, une couverture trempée, enroulée autour d'un tronc : C'était tout ce qui restait ! Il était sûr, maintenant, d'être seul dans l'île ... Arrivés par la goëlette, on les avait descendus à terre dans la chaloupe, tous les deux, il y avait maintenant huit jours de celà, avec un sac de riz, quelques hardes, des couteaux, une hache pour fendre les noix de coco et préparer le coprah. La goëlette était repartie. Elle devait revenir dans deux mois, trois mois peut-être : Cela dépendait du ciel et de la mer ... On chargerait alors les sacs de coprah pour les emporter à Mahé ...








_ " Le garçon, c'était mon grand-père, Monsieur, ou du moins celui qui allait devenir mon grand-père plus tard ... C'était en mille huit cent soixante douze. On naviguait à la voile, exclusivement. "
Le garçon creusa le sable, de ses deux mains. Il trouva de l'eau à un mètre à peine. Elle était douce, ou presque ... Le vieux avait dit vrai . Il but. Le soir approchait : Il mangea du coprah.


_ " Cinquante quatre jours, il passa dans l'île, Monsieur ! ... Dont quarante huit tout seul ! De temps en temps, il apercevait le chien, fugitivement : Le chien devait pêcher des crabes sans doute ... Comme lui !
_ Il n'avait guère appris à l'école, qu'il avait fréquentée pendant deux ans pourtant ... Mais il savait se débrouiller ! ... Il savait prendre des zourites avec un bâton pointu, pêcher des poissons dans les creux des rochers ... Il mangeait tout cru, puisque le briquet à amadou avait disparu avec le vieux. _ A neuf ou dix ans, l'aventure n'était pas si rare : On vous débarquait pour faire le coprah, ou bien pour pêcher la tortue à écaille, qui vient pondre, la nuit, sur les plages ... Il en vit, des tortues ... Au clair de lune, elles se traînaient sur le sable. Lorsqu'elles pondaient, elles ahanaient et gémissaient. Il essaya bien d'en renverser une sur le dos, comme il l'avait vu faire, mais il aurait fallu plus de force qu'il n'en avait ! Il mangea des oeufs.


Sans que rien ne le laisse prévoir, un jour, les oiseaux arrivèrent. Ils arrivaient par milliers. On était au mois de mai. Il en tua à coups de bâton. Ils restaient là, stupides, à attendre les coups : On ne leur avait pas encore appris la crainte. Il mangea leur chair, crue bien entendu : Ce n'était pas très bon. Puis il y eut les oeufs : Les sternes avaient pondu. Des oeufs tant qu'on en voulait : On poussait les oiseaux du pied, pour les ramasser. Il goba des oeufs : C'était bon.






Il avait trouvé des planches sur la plage, sans âge, venues d'où ? Certains provenaient des débris de la case, peut-être ? Il se construisit un abri . Mais la pluie était finie.






_ Les hommes l'ont trouvé là, sur le sable, en abordant avec la chaloupe ... Il attendait ... Il avait vu approcher le bateau. Il demeurait grave, sans montrer de joie aucune. _ Le grand arbre venu du Sud était encore là. Il montrait ses racines blanches.
_ Mais l'histoire, Monsieur, ne s'arrête pas là. Mon grand-père m'a tout raconté, alors que l'âge l'avait courbé et ridé. Nous étions près d'un grand feu, un soir. Il fumait sa pipe à petits coups. De son bâton, il éparpillait les tisons. _ Il avait eu peur, souvent ... Dame ! Tout seul au-milieu de l'océan, à neuf ans ! _ Le chien qui hurlait toujours, d'un côté ou de l'autre ... Les crabes, la nuit, qui faisaient bruisser les feuilles ... Et si la goëlette allait ne pas revenir ? ... Et puis le vieux, le vieux qui avait disparu sans laisser de traces! ... Il le voyait dans ses rêves, parfois, le vieux, la nuit. Il distinguait très bien ses yeux ridés. Sa bouche essayait de parler. Il lui manquait trois dents sur le devant. Aucun son n'était perceptible.
Un bruit quelconque, une saute du vent ... On se retourne sous la couverture : L'image du vieux disparaît. Et puis une nuit ... Justement la nuit qui précéda l'arrivée de la goëlette ... Le vieux se montra une fois encore, dans un rêve. Il se tenait debout près d'un arbre . Ses pieds ne touchaient pas le sol. Il parla, et cette fois le garçon entendit, tandis que le vieux montrait du doigt quelque chose. O ! Un seul mot fut perceptible : " La chèvre ! " _ Puis l'image disparut.




Au matin, le garçon réfléchit : " La Chèvre ! " _ Il n'y avait certes pas de chèvre dans l'île ... Mais il y avait un rocher, au fond de la baie, qu'ils avaient baptisé " La chèvre ", le vieux et lui ... Ce rocher, vu sous un certain angle, on aurait dit qu'il avait des cornes ! _ Le garçon s'y rendit, pour voir.


_ " C'est sans doute difficile à croire, Monsieur, mais lorsque mon grand-père atteignit le rocher, il s'aperçut qu'il y avait un trou. Il y passa le bras. Sa main ramena une boîte. Dans la boîte il y avait ... Trois cents roupies en billets de banque ! Trois cents roupies à cette époque, vous vous rendez compte !
... Une heure après, pas plus, la goëlette était là. "
_ " La maison que j'habite, Monsieur, celle que vous voyez là, a été achetée par mon grand-père avec les trois cents roupies ... Et il lui en est resté, encore ! "
_ " D'où venait la boîte ? _ Le vieux l'avait-il cachée là, ou bien c'était un naufragé ? _ Ma grand'mère, Monsieur, n'a jamais connu cette histoire. Mon père non plus, je crois bien. Il est mort il y a huit ans . Moi, je le répète, Monsieur, c'est mon grand-père lui-même qui me l'a contée. "






_ " Bien sûr, personne n'a jamais revu le vieux ... Pas même mon grand-père, dans ses songes ...










































MARIAGES AU PARADIS ...


















Par la grâce du cinéma, Emmanuelle, venant de Thaïlande, arriva aux Seychelles, plus précisément dans l'île de La Digue. De ce fait, le fauteuil Pomaré, en rotin et à large dossier, changea son nom contre celui de " fauteuil Emmanuelle ".
Les dépliants touristiques sont frappés au signe de ce siège, gage d'exotisme et d'ambiguïté tout à la fois .






Calypso, Pomaré, Emmanuelle ... C'est toujours du même mythe qu'il s'agit, se projetant dans l'imaginaire insulaire : Fleurs en guirlandes, palmes, lianes, colibris, muscade, vanille... Plages au soleil, océan d'émeraude et de saphir ... On offre aussi la nymphe, tout sourire dans son bain, et des farandoles de poissons bigarrés
... Mais le faune, derrière son rocher, souffle dans la conque ...


_ " Mariage au Paradis."


_ "Pour huit jours payants, deux jours gratuits."






_ Cette publicité atteint Londres, Paris, Rome, Francfort, Melbourne et Tokyo ... Le rêve ! ... On marie dans les jardins des hôtels, fauteuils Emmanuelle installés sous les tonnelles d'hibiscus. _ Au pays du " Coco d' Amour "
... Robe longue, champagne, fleurs, et la photo sur la plage, dans les ors du soleil couchant.






_ Que deviendront pourtant les rêves, au retour dans les capitales électroniques ? _ A l'entretien du mythe, il faut consacrer le culte.
Mais parfois, sans attendre, la flûte aux roseaux multiples se fait un tantinet sarcastique : Le Grand Pan montre ses cornes de bouc sur la plage, par-dessus les blocs de granit. On conduit les nouveaux époux au fond des anses les plus creuses ... Ivresse de la vitesse, des parfums et des couleurs ... : L'hélice du canot projette le strass en cascades ... On dit que ce sont souvent des silènes qui mènent les barques ... Cachant leurs sabots fendus, ils semblent des dieux coulés dans l'airain.
_ Délices des plages " jamais foulées "... Ilôts surgissant des flots, attendant peut-être encore qu'un nom leur soit donné ... La crique, à midi, est un véritable bol à punch, flambant au soleil.
Il paraît que les belles y perdent quelquefois la tête ... Le satyre, lui, montre sa toison et réveille ses ardeurs ... Muse, miel, cannelle, rythmes de sega ou bien de lambada ...
Le jeune époux ramasse des coquillages sur le sable ... En d'autres lieux ... Qui s'en souvient ? _ Zeus lui-même descendit de l'Olympe sous l'aspect d'un taureau.
Le sacrifice accompli, le secret est bien gardé.
Un jeune florentin, dit-on, arpenta les grêves pendant trois semaines, cherchant son Antonella qui s'était enfuie avec un musicien, une heure après les noces !




Rumeurs, rumeurs ... Quand la vague brise au récif ...
























UNE HISTOIRE D' HOMME - DE - BOIS ?






















_ " Un géant, Monsieur ! ... Et ce visage ! ... Ces yeux ! ... Ah ! Monsieur ! Je ne suis sujet, ni à l'imagination, ni à la sensiblerie. J'ai voyagé un peu partout ; j'ai vu des choses extraordinaires. On me dit raisonnable et posé. Mais là, Monsieur, j'ai poussé un hurlement et j'ai pris mes jambes à mon cou !






C'était en mille neuf cent soixante quatorze. L'aéroport n'était ouvert que depuis trois ans. J'arrive de Londres en fin d'après-midi. Je suis seul, mais content de l'être. Le temps de récupérer ma valise, je me fais conduire à mon hôtel, à Bel-Air. Il fait chaud et l'air est moite.
Une douche ... Je me change : Me voilà prêt. La nuit est tombée très vite. Il n'y a pas de lune. J'ai fort envie d'aller, sans attendre, faire un tour jusqu'à la ville. Mon hôte m'indique le chemin. Me voilà parti.
La route est étroite et sinueuse. En ville, pas un chat, et très peu d'éclairage. Je tourne autour de la curieuse horloge qui se veut une réplique miniature de Big-Ben et je prends le chemin du retour.
Je grimpe la côte, perdu dans mes pensées. Un crapaud halète, cherchant son juste ton. L'air embaume le gardénia. Il fait très sombre. Des arbres immenses tendent leurs bras dont on ne fait que deviner les extrémités.






Un bruit de pas derrière moi : Quelqu'un me suit. Il garde la distance : pas de craintes ... Pourquoi en aurais-je ? ... De toute façon, celui qui m'agresserait aurait peut-être des surprises !
Les pas sont réguliers. Je me contente de jeter un coup d'oeil par-dessus mon épaule avant chaque virage. Je grimpe la côte, régulièrement. Et puis tout à coup


... Ah ! Monsieur ! ... Un géant, Monsieur, un vrai géant, au beau milieu du chemin ! Plus haut qu'une armoire ! ... Deux mètres cinquante, peut-être ? ... Et des yeux qui luisent ! ...
D'où sort-il, celui-là ? ... Pas un mot. Je m'arrête. Tout à coup, la peur me prend : Une vraie panique, Monsieur ... Le géant bouge un peu ... Je pense qu'il essaie de m'attirer vers la gauche ... Vraiment, il était immense, Monsieur ! J' esquive ... Et c'est alors, que je pousse un hurlement ! Et je prends mes jambes à mon cou .
Je ne sais pas si celui qui me suivait tout à l'heure a vu ce qui se passait ... Il me dépasse en courant, crochète ... Je ne l'ai jamais revu !






Certains, sans doute, auraient été retenus par la crainte du ridicule ... Moi, je raconte tout à mes hôtes. J'apprends alors que ma rencontre a eu lieu tout près du vieux cimetière de Bel-Air. Là sont inhumés les plus anciens habitants de Mahé, ceux qui ont débarqué ici à la fin du dix huitième siècle, venant de Bretagne, de l'Ile-de_France, ou de Bourbon. Ils reposent là avec leurs fils et leurs filles, sous les dalles chamboulées, envahies par la végétation.
La plupart des stèles sont brisées et les lavandières viennent ici étendre leur linge sur le sol pour le faire sécher.






_ Et c'est maintenant que mon histoire devient curieuse ... Tout le monde sait ici ... On vous le confirmera ... qu'un véritable colosse a vêcu aux Seychelles, au temps des premiers habitants. Il s'appelait d' Argent, selon les uns, Savy selon les autres ... Peu importe ... C'était un géant peu ordinaire ! Tout enfant, dit-on , il vous soulevait un sac de riz avec le petit doigt et recommençait aussi souvent qu'on le voulait ! Puis il a grandi, en taille et en carrure ... Il vous soulevait une lourde pirogue et, à lui tout seul, il la traînait sur toute la largeur de la plage pour la mettre à l'eau ! Il était certainement plus fort que dix hommes qui auraient uni leurs efforts.
On en vint à le craindre : N'allait-il pas, un jour, se servir de sa force pour terroriser et soumettre tout le monde ?
_ Vous pouvez voir sa tombe, Monsieur, au cimetière de Bel_Air ... C'est celle qui est surmontée d'un obélisque, juste en face de l'entrée. Elle mesure neuf pieds six pouces, ce qui fait deux mètres quatre vingt cinq !


... L'histoire ne dit pas qui l'a empoisonné, mais elle dit qu'il a bel et bien été empoisonné.


Vous observerez, Monsieur, que les lavandières respectent cette tombe : Elles n'y étendent point leur linge, et s'écartent au passage.








_ Le géant sort de son tombeau parfois, par les nuits sans lune ... Beaucoup l'ont rencontré ... Tous ne s'en sont pas vantés ... Il arpente les environs du cimetière. Le soir où je passai par là suivait une journée pendant laquelle des travailleurs, pour la première fois depuis longtemps, avaient fait un débroussaillage ... Avait-on dérangé le géant dans son sommeil ?
_ Doutez-vous, Monsieur ?
_ Me prenez-vous pour un esprit crédule ? ... Lisez Vincent W. Ryan, ancien évêque de l' île Maurice ... Douterez-vous d'un évêque ? ... Vous trouverez son livre aux Archives Nationales.






_ " Au cours d'une de mes tournées, écrit-il, on me montra le chapeau et les chaussures d'un ancien habitant : monsieur Savy. L'ensemble était à la mesure du personnage ... Qui mesurait plus de sept pieds ! "






... Celà fait combien, exprimé en mètres ?










































LA COMMUNAUTE FRANCAISE,(SUITE )


LA ZIZANIE




















Il y a ceux qui en ont ... Et ceux qui n'en ont pas ! ... Ne vous méprenez pas : Je parle ici de radis, de choux-fleurs et de poires, ( Passe-Crazane ou Passe-droits...).
La communauté gauloise ne pense qu'à ça : Querelles de marchés, importées de Brive-La - Gaillarde ! Les commères s'excitent ... Les compères devisent ...


Quelques-uns, un certain jour, considérant la rareté des légumes et des fruits, imaginèrent de se grouper pour passer directement commande à Rungis. _ L' idée était bonne ... Elle fut réalisée. Cependant, certains le savaient, certains l'ignoraient ...
Ces derniers découvrirent l'affaire un matin, par hasard ... A l'odeur de poireaux qui flottait dans les couloirs de l'Ambassade ! Trois artichauts restaient : Celui qui passait les emporta.






On cause, tous les jours, autour des boîtes à lettres, à heure fixe, presque ... La rumeur prend de l'ampleur : Elle implique des considérations d'ordre ... Politique !
_ " De pleins cageots de poires, vous dis-je ... Les queues luisantes de cire rouge ! "
_ " Ce sont eux, certainement ... Ceux de l' " Amicale " ... Ils se sont bien gardés d'en faire profiter les autres ! "








Il reste à savoir de quelle " Amicale " on veut bien parler : Celle " de Gauche " ou celle " de Droite "?
_ Les Gaulois importent leurs virus, on le voit : comme ils importent leurs boules de pétanque ! Ah ! Monsieur ! ... Les Gaulois !
_ " L'odeur venait du bureau de Marie_chantal ... "
Alors là, c'est clair, c' est de " l ' Amicale de gauche " qu'il s'agit !






_ " Encore un coup du clan ! "
... Il y a ceux qui en sont ... Et ceux qui n'en sont pas ! ... Au tennis, c'est la même chose, et pour les cocktails aussi : Il y a ceux qu' on invite, et ceux qu'on n'invite pas ... Ceux-ci deviennent ceux-là quand on parle de l'autre clan.


... L'autre mardi, les bureaux sentaient encore le poireau ... Mais contrairement à la fois précédente, Monsieur l'Ambassadeur était là.
_ Livraison subreptice ? _ Livraison restreinte, mais il n'y avait pas que des légumes : Il y avait aussi des fromages !
_ " Privilège du Corps Diplomatique ", aurait déclaré Monsieur l'Ambassadeur !


... Il y a ceux qui en sont ... Et ceux qui n'en sont pas ! Histoire de couleur de passeport ! ... On les distingue, d'ailleurs, à leur façon de descendre l'escalier : Certains le font en majesté ... D'autres n' y arrivent pas ! ... On reconnaît aussi les membres du Corps Diplomatique à leurs voiture ... Et à leurs chauffeurs !




_ " Mais je vous le dis : Les membres du Corps Diplomatique ne font profiter des fromages et des fruits que ceux de " l'Amicale "...




_ La rumeur, Monsieur ! _ La rumeur !


























LES POLDERS DE MAHE






















J'aime bien les casuarinas. Ce sont des arbres qui ressemblent à des pins graciles aux aiguilles très fines. Ailleurs, on les nomme filaos. Je me souviens qu'en Polynésie, nous faisions, d'une branche de filao, un arbre de Noël pour les enfants.


A Mahé, juste au pied de Victoria, la route toute nouvelle traverse une jeune forêt dont on a élagué les branches basses. Le sous-bois est baigné d'une splendide lumière tamisée. Un sportif en culottes courtes y trotte souvent.
De là, on aperçoit les eaux de la lagune : De gros rochers de granit, aux dos arrondis comme ceux des éléphants s'y baignent. De l'autre côté, l'océan est d'un bleu puissant. Des ilôts s'y drapent de verdure.


Toute l'île n'est que montagne où les routes sont étroites et sinueuses ... Sauf ici ... Nous sommes sur des remblais récents et la voie est droite, large.
On plante des casuarinas sur les remblais car, paraît-il, ils assèchent et fertilisent les sols. En tout cas, dans ce corail encore salé, allez donc planter autre chose que des casurinas !
La route ne mène nulle part : Elle s'achève à un rond-point ... Elle mènera quelque part un jour ... Au-delà, on aperçoit un bizarre objet flottant non identifiable : Structures verticales emmêlées, appendices, cheminées, mâts, vérins, palans, tuyaux ... Faut-il appeler cela un bateau?








_ C'est une drague, l'une des plus puissantes du monde ... Elle ose s'appeler " Marco Polo ". Son commandant est un géant hollandais rubicond. D' un bord elle creuse le récif avec on ne sait quels énormes trépans, de l'autre, elle rejette par de longs tuyaux une sorte de boue liquide et blanchâtre qui deviendra le sol des futurs remblais ... Ailleurs, on parlerait de polders
... Deux cents hectares, ou peu s'en faut, ont déjà été gagnés sur le lagon. C'est la seconde opération du genre : La première avait déjà permis de gagner l'espace occupé par les casuarinas dont je parlais tout à l'heure. L' opération actuelle doit permettre de prolonger la route jusqu'à l'aéroport.






_ Est-ce un bien ? _ Est-ce un mal ? _ Dans les îles de Polynésie, les pelleteuses creusent le corail allègrement, à pleins godets, pour fournir un matériau vulgairement appelé " soupe de corail ", dont on se sert pour empierrer les routes. La vie, au fur et à mesure de l'avancée des engins, disparaît des lagons, étouffée par les nuages de poudre coralienne suspendus entre deux eaux.


_ " Il faudra plus de vingt ans pour que le corail repousse et que la vie revienne ! "


_ Les Seychellois, eux, sont plus attentifs à leur environnement. Les premiers draguages ont fait des dégâts ... Cette fois- ci, on a pris la précaution d'étirer des lignes de flotteurs, portant suspendus des jupes et des filets pendant à la verticale et qui servent de filtres. A l'intérieur du périmètre délimité par les lignes, l'eau apparaît blanche, crémeuse. A l'extérieur, elle reste bleue... Le restera-t-elle longtemps encore ?




Pensant à la Polynésie, je me souviens de l'éclat de rire d'un vieux Tahitien, aux îles-sous-le-vent :


_ " Vous verrez : Un jour, ils mettront la montagne dans le lagon ... Comme ça, on aura un sol tout plat ! "


Sur les terrains plats de Mahé, les Seychellois ont prévu de construire des stades et une piscine, pour les Jeux de l'Océan - Indien ... Sur les remblais plus anciens, une école a déjà été construite et des chantiers s'activent.






_ De la terre qui émerge ... C'est beau ... Non?
_ " Mais, les palourdes, Monsieur ? ... Dans les environs de l'aéroport, elles ont complètement disparu, sous trois mètres de corail mort. Elles vont disparaître aussi à Montfleury, où " Marco Polo " a planté ses vérins, plongé ses trépans, étiré ses tuyaux ! ...
_ " Les palourdes, Monsieur, reviendront- elles ? "
_ " Question judicieuse, bien sûr ! Mais on a planté des casuarinas ! "






































UN DIMANCHE MATIN SUR LA PLAGE


DE BEAUVALLON.






















Sept ou huit enfants marchent sur la plage
Dentelles, volants et falbalas
Robes vives en bouquets
Garçons en chemises blanches
Et noeuds papillons.




Une cloche appelle à la messe
Les grands hâtent le pas
Les petits trottinent sur leurs bas
Portant leurs vernis à la main.




Des serveuses portent des plateaux
Des jeunes-gens bonimentent près d'un bateau
Allant à la messe on louvoie
Entre les chaises d'où montent en douze langues
Des psaumes au dieu Râ, que bourdonnent
Des touristes aux seins nus.




La baie est longue et molle
L' Océan outre_bleu.




Dans l'ombre quelque part
Les hommes vident des canettes
Dans l'église les femmes chantent en Français
Des cantiques
Qu'elles ne comprennent plus.




Un avion au ras des cocotiers
apporte son chargement de dollars.


























LA COMMUNAUTE FRANCAISE,( suite )


EN COOPERATION ...


























Plié, cacheté ... savoir glisser sous les portes, ayant l'échine souple et sans aspérités. Avoir gardé patience pendant tout le temps nécessaire dans les couloirs des "Sixièmes Sous_Secrétaires ", ( N'oubliez pas les majuscules ! ) au Ministère de la Coopération et du Développement, 20, rue Monsieur, à Paris. Avoir un petit-cousin dans la place peut aider ... Mais il suffit parfois que la petite-amie du "Septième Sous-Secrétaire" ait croisé votre femme au salon de thé ...




Binoche, lui, a été mis en selle le jour où un homme, qui fut autrefois l'un de ses collègues dans un endroit pelé du Maroc s'assit carrément dans le fauteuil ministériel ... Ce Ministre devait beaucoup faire parler de lui, mais c'est une autre histoire ....Binoche et le nouveau Ministre avaient eu l' occasion d'arpenter ensemble quelques couloirs ... L'un avait mieux réussi que l'autre, mais tous deux portaient des habits bien coupés ... Certes, les collègues restés au pays n'en portaient pas de pareils !
_ Avoir eu des relations avec quelqu'un qui est devenu Ministre ... Certes, celà peut aider ... Alors, ayant obtenu une bonne affectation, s'y tenir. Ne pas oublier de passer au Ministère à l'occasion de chaque congé ... Se faire présenter le " Cinquième Sous_Secrétaire " par le " Sixième ", puis le " Quatrième " par le " Cinquième "... Il se peut que le Ministre, lui, vous ait totalement oublié ... Qu'importe !




_ Rendre de petits services : penser aux timbres-poste pour la dactylo philatéliste ... Progresser le long des couloirs ... Ne jamais reculer ... ëtre patient. Chaque année, envoyer ses voeux à ceux qui sont en place ... Et à ceux qui pourraient bien les remplacer ! ... On ne sait jamais !
_ Il existe une infinité de cheminements possibles. Rester en piste ... Ne jamais sortir du circuit ...
Il y a des risques, bien sûr ... Le Ministre peut tomber, mais on aura prévu le coup ! ... Avec un peu de chance, on se trouvera mieux placé encore ... Dans le cas contraire, faire le gros-dos : C'est comme le vent d'hiver ... Celà finit par passer ... Entretenir ses réseaux de relations. Ne pas manquer les cocktails, recevoir beaucoup : S'accrocher ! Bouger peu ... Parler peu et toujours à voix basse. Ecrire beaucoup, même si l'on n'a pas grand chose à dire ... Ecrire au Député de l'Essonne, à celui du Tarn ou du Pas-de-Calais ... Un Corse ou un Breton sont très utiles.
Jouer au golf ou au tennis, mais pas avec n'importe qui ... Et ne pas gagner toujours ...
Petit à petit, autour de son domaine professionnel, planter ses bornes ... Et veiller à l'élimination de tous les curieux ... De toutes nationalités. On peut ensuite, lentement et subrepticement, essayer de déplacer les bornes.
Inoccupé, paraître toujours affairé : avoir toujours un dossier sous le bras !
_ On peut s'inscrire auprès d'une association de Français-à-l'Etranger ... Bien la choisir ! _ Avec un peu de savoir-faire, on en est vite Président, tout au moins à l'échelon local. Intervenir, alors, pour obtenir une bourse au fils du chauffeur, un avantage de carrière à la documentaliste ... Si l'on n'intervient pas, faire croire que l'on est intervenu : Vous avez une chance sur deux qu'il y ait matière à vous remercier !






Autre avantage : Toutes ces correspondances vous permettent de recevoir des quantités d'enveloppes avec des en-têtes impressionnants ... Comme elles sont trop grandes pour entrer dans les boîtes-aux-lettres, tout le monde peut les apercevoir : Il y en a qui sont effectivement impressionnés, parfois.
_ Le Président de la République Française passe en Concorde ? _ être à l'aéroport et se débrouiller pour pouvoir parler à quelqu'un, n'importe qui ...
Le Ministre de la Mer ? _ Y être, bien sûr ! Y être encore ! Y être toujours !
_ Le Sous-Secrétaire au Développement ? _ Y ETRE !
_ Du reste, si on a su faire, on sera invité au dîner, à l'Ambassade ...
Et puis voilà que Madame Edith Cresson devient Premier-Ministre ... Elle était Présidente de "l'Association Démocratique des Français à l'Etranger " ... Bien joué ! ... Ramassez la mise ! ... Splendide avenir ! _ L'an prochain, on sera à Dakar si on le désire ... Et dire qu'on a failli redevenir instituteur à Trifouillis-Les Oies ! ...






Binoche, dans son bureau de coopérant, au Ministère seychellois de l'Education, reçoit des enveloppes à en-tête, des dossiers ... Il a un agenda de cuir sombre, placé là où il le faut pour que chacun ne puisse manquer de le voir ... L' agenda est frappé du poing et de la rose ... Celà vous dit quelque chose ?


































POLITIQUE ... POLITIQUE !




























L'armée est parfaite, quand elle maoeuvre pour la parade. On le vit l'autre semaine encore, pour le quinzième anniversaire de la " Libération ".
Le Président a prononcé un discours, comme d'habitude ... Ce qui était nouveau, c'est que ce discours était une diatribe contre " Ceux qui, de l'Etranger, voudraient nous donner des leçons pour mieux imposer leur contrôle sur notre pays. "
_ Comprenez que c'est aux Français que le Président s'adresse :


_ " Nous prennent-ils encore pour des singes grimpant aux cocotiers ? "


... Discours reproduit par la presse et la télévision ... Le lendemain, on chuchotait dans les bureaux.
Le principal Ministre du Gouvernement seychellois, deux jours plus tard, reprend et développe le thème ... On avait compris : Le Président revient de Paris fort déçu. Il paraît que les finances seychelloises sont à sec ... Ce qui n'empêche d'ailleurs pas le Président de clamer que " Le niveau de vie des Seychellois est supérieur à celui de tous les Africains ... A l'exception de ceux qui ont du pétrole ... "
_ Bon ... Chuchotez ...Il est vrai que le tourisme est en crise. Le Président était allé à Paris pour demander des sous. Il n'en aurait pas obtenu. De plus, François Mitterrand ne l'aurait reçu que dix minutes à l'Elisée ... Pour l'encourager au développement du multipartisme et de la démocratie !






La presse, pour une fois, n'a pas publié de photo de l'entrevue, la radio et la télévision sont demeurées discrètes.


_ " La démocratie, dans un petit pays comme le nôtre, ce n'est pas le multipartisme. C'est la possibilité offerte à chacun de dialoguer avec ses dirigeants. Dans notre pays, le dialogue est ouvert... "


Le Président promet un référendum pour la fin de l'année sur la question du multipartisme :


_ " Mais si vous le votez, moi, je m'en vais ! "


_ L'Eglise rappelle que ce qu'on nomme "Libération ", c'est un coup d'état contre un gouvernement démocratiquement élu. Des tracts ont été distribués. Les télécopieurs ont reçu des textes de proclamations venant d'Angleterre... On arrête ... On emprisonne ... On relâche ... Deux ou trois personnes, dit-on ... Toujours les mêmes.


_ " Ceux qui s'opposent à nous et manifestent pour la démocratie sont ceux qui ont la nostalgie du passé et qui voudraient être plus égaux que les autres ! "


_ Tout ceci ne va pas très loin, mais :


" Le multipartisme ... Jamais, tant que je serai là ! ... Souvenez-vous des querelles d'autrefois, avant la " Libération " ! Notre pays est trop petit : Notre population représente tout juste celle d'une petite ville d'Europe ... Le multipartisme, c'est le retour des incessantes disputes ... Quand les parents se disputent, ce sont les enfants qui trinquent ! "




_ Fortes formules, Monsieur le Président ... mais ... Dites-nous ... Au temps du multipartisme et des disputes ... Qui était dans l'opposition ?


_ " Ce qui fait la seule force de notre nation, c'est l'union ! "


... Demain, le Président prend l'avion pour ... La Corée du Nord et la Chine ... Du moins est-il assuré de ne pas entendre parler là-bas de multipartisme ! ... Peut-être même reviendra-t-il avec quelques sous ?






_ Mitterrand, lui, recevra demain à l'Elisée Sir Robert Mancham, le Président déchu et exilé en Angleterre ... Qu' en conclure ?




































POLITIQUE ... POLITIQUE ...


( SUITE ... )




















Oriflammes et bannières, baudruches et flonflons : On baptise un beau bateau tout neuf.
Les notables sont dans la tribune. Les caméras sont là ... On ne fait pas autrement à Landernau ...
Le " Spirit of ... " _ je ne sais plus quoi, a été construit en France, aux chantiers de Sète. Il mesure quarante cinq mètres de long. C'est un thonnier-senneur. Son filet mesure mille cinq cents mètres de long, a cent quatre vingt cinq mètres de chute et pèse cinq tonnes à lui tout seul.
_ Le discours du Directeur des pêches nous apprendra bien d'autres choses !


_ Ce bateau est équipé de moteurs puissants. Il dispose de tout l'équipement sophistiqué qui doit lui permettre de rivaliser avec les thonniers espagnols ou français ... C'est le premier bateau financé à cent pour cent par la nation seychelloise et l'équipage est à cent pour cent seychellois.
Mais le discours officiel prend de l'ampleur et, tout à coup, les visages se tendent :


_ " Jamais plus, à partir de ce jour, on n'empêchera les Seychellois d'exploiter eux-mêmes leurs richesses ! "


_ En une seule envolée, on en apprend de belles ! ... L'accusée, c'est la France !






_ " Les conseillers techniques internationaux ont essayé de nous tromper. Ils voulaient nous décourager d'utiliser la senne dans l'Océan-Indien, dont les eaux étaient soit-disant ... Trop claires ! Ils nous ont fait acheter très cher des bateaux en mauvais état, pour pêcher " à la longue-ligne." Nous avons rendu les bateaux et réclamé la restitution de notre argent ... La Caisse Centrale nous a refusé les financements ... Et puis nous avons vendu les droits de pêche aux Bretons et aux Espagnols ... Ils pêchaient à la senne ... Par palanquées de plus de cent tonnes ! Nous avons commandé un senneur en France : Comme par hasard, il a été détruit par le feu sur le chantier ... Alors que sa construction était presque terminée ... Personne n'a élucidé les causes de cet incendie ... Les assurances ne nous remboursé à ce jour que la moitié des indemnités qu'elles nous devaient ... "


_ Bref ... En vingt minutes, la France est accusée tout simplement de mensonge, de fraude, de malversations et d'escroquerie !
_ Mais qui faut-il être, pour se permettre de faire un tel discours ?
_ Le Directeur des pêches est tout simplement le beau-fils du Président France_Albert René . Comme on le sait, le Président rentre de Paris les mains vides et il s'est entendu sermonner sur le sujet de la démocratie ... Passons ... L'Ambassade de France ne protestera pas. Souhaitons à ce bateau, tout simplement, toute la réussite possible.






_ Il appareille ... Il part ... Dieu qu'il semble léger, tout en fibre de verre, pour un filet si volumineux et si lourd ! _ Il est parti ... Il est revenu ... _ Déjà ? _ Il est à quai ! _ " A son premier voyage ...", dit la chanson ... Au premier essai, les palans hydrauliques se sont avérés incapables de remonter la senne. Il a fallu quatre heures pour relever le filet à bras ... Brasse après brasse ! _ Il est vrai qu'on a substitué aux palans prévus par le concepteur d'autres palans, d'origine italienne.
_ Italienne ? _ Je crois bien me souvenir ... Oui, c'est bien cela ... Attendez _ N'était-ce pas en Mazeratti que roulait le Directeur des pêches ?
_ " Mauvaise langue ! Qu'allez vous insinuer là ? ... Français cocardiers et prompts à la critique ! "
























































UN INCIDENT DIPLOMATIQUE
HISTORIQUE.














Certains errèrent parmi les îles basses peuplées d'oiseaux et de tortues ... Au-delà, on découvrit un jour les îles hautes, toutes de granit. _ Le premier qui les voit le raconte ... Le second ... A moins que ce ne fût le troisième, pose le pied à terre. C'est en mille sept cents quarante deux. Le navigateur s' appelle Lazare Picault, il est Français. On est au mois de mai. L'alisé souffle du Sud-est.
De retour à l'île-de-France, on racontera ses découvertes : Les blocs de roches et les glacis, les hautes frondaisons préservées des cyclones par la situation en latitude .
Le suivant n'arriva que quatorze ans plus tard. Il s'appelait Nicolas Morphey : C'était un Français d'origine anglaise. Son navire s'appelait le " Cerf" : Un nom qui peut paraître prédestiné pour aborder l'archipel des îles aux tortues éléphantines ! ... Au nom du Roi, il amène une pierre gravée aux Armes de France, une pierre d'origine bretonne, de beau granit gris ... Semblable à celui des Seychelles !
On pose la pierre de granit sur ... Un rocher de granit ... Au pied de la montagne de granit ... On dresse un mât ... On hisse le drapeau blanc du Roi de France ... On crie par trois fois : " Vive le Roi " ! On salue de neuf coups de canon, ce qui fait ... S'envoler les oiseaux ! ... On dresse un procès-verbal de " Prise de Possession " : Les "Isles Séchelles", terres vierges, entrent dans le domaine de la Couronne de France . _ Ah ! La belle époque ! _ Le navire s'en va _ Les oiseaux se reposent sur les bords du lagon : Ils restent seuls en compagnie des crocodiles et des tortues ... Pour quelque temps encore !






... Mille sept cent quatre vingt quatorze : Les Anglais débarquent.
Mille huit cent onze : Ils " prennent possession " à leur tour. Entre temps, on a coupé le cou du Roi de France en son pays et installé un Empereur à sa place, mais il y a toujours un Roi de Grande-Bretagne ... La " Pierre-de-Possession " a été martelée pour en effacer le lys de France, la couronne royale et le cordon du Saint-Esprit. Elle est reléguée quelque part, dans l'usage d'une vulgaire pierre de bornage, indiquant la limite entre deux terrains.




Mille huit cent quatre vingt quatorze : Deux Empereurs sont passés, en France, et quelques Rois par intérim ... La lignée britannique s'est poursuivie ... Anglais et Français s'aiment toujours autant, ce qui n'est pas peu dire !


... Passe un Général français du nom de Frey, qui se rend à Nouméa par le paquebot des Messageries-Maritimes. Au voyage aller, il remarque la " Pierre de Possession ". Au retour, il la subtilise ! Le navire-amiral anglais salue d'un coup de canon : Pour honorer le Général.
_ Le délit découvert, le Gouverneur de Sa Majesté Britannique se fâche, lui : Sommations télégraphiques au Général Frey, en route sur son paquebot ... Le pavé de granit, propriété de Sa Majesté Britannique en tant que pierre de bornage, revient de Marseille par la malle : Simple promenade ! _ Il trône aujourd'hui au Musée Carnegie de Victoria.
Heureux temps ! _ Panurge commit sans doute semblables frasques ... A moins que ce ne fût Pantagruel ?
_ Le scribe du " Chief-Officer of Police " enregistre dignement, et en fin lettré : _"Vide ... La pierre est revenue aux seychelles en mille huit cent quatre vingt quatorze ... " C'est inscrit sur un registre que l'on peut consulter aux Archives Nationales. _ Fin de l'épisode.




La manie de graver, elle, n'a pas disparu. Elle choisit toujours de nouveaux supports : Des plaques sont scellées sur les murs, sur les stèles, sur les monuments ... Beaucoup de plaques ! _ Il y en a à La Gogue, sur le barrage de retenue, il y en a à l'aéroport, à la porte de "Independance House", sur la stèle du "Monument de l'Indépendance", sur le mur de "Camion _ Hall", sur celui de l'immeuble "Ocean_gate" ... Il y en a sur le Monument au "Zom Lib", à "National House" ... Et j'en oublie ...Il y aura bientôt autant de plaques que de murs ! ... Toutes à la gloire ... Du Président !




En tout cas, on se méfie toujours des Français ... Et surtout de leurs Officiers_Généraux ... Ne dit-on pas que le Président a refusé,récemment, de recevoir l'Amiral Commandant la Flotte Française de l' Océan - Indien ?












































LE TOUT PREMIER DÉBARQUEMENT AUX ILES


SEYCHELLES : JOURNAL DE BORD DU CAPITAINE




ALEXANDER SHARPEIGH ... 1609.


( traduction du journal de bord de John Jourdain _ Société Hakluyt. )


























19 janvier 1609




Aux environs de neuf heures du matin, nous aperçumes une terre haute, qui s'étendait de l'Est au Sud. A trois heures de l'après-midi, nous distinguâmes d'autre îles, qui nous semblèrent être au nombre de quatre. Au soir, elles apparaissaient du Nord à l'Est, à quelque cinq lieues de nous. Nous laissâmes les voiles fasseyer toute la nuit., jusqu'à l'approche de l'aube, puis nous approchâmes de la terre dans l'espoir d'y trouver de l'eau et des vivres frais. A midi, nos observations nous situaient par 4° et 20° de latitude. (1)




20 janvier




Au matin, étant tout près de la terre, nous laissâmes fasseyer nos voiles et nous mîmes la yole à la mer pour aller sonder devant le navire et chercher un bon mouillage. Ainsi, nos hommes allèrent jusqu'à une petite île (2 ) , la plus proche de nous, se trouvant à deux lieues environ au Nord de l'île haute ( 3 ). Ils débarquèrent dans une belle anse sablonneuse. Nous aurions pu y mouiller dans de bonnes conditions, mais, comme nos hommes ne signalaient pas avoir trouvé d'eau, nous ne jetâmes pas l'ancre. Le canot revint donc. Il ramenait autant de tortues terrestres qu'il pouvait en contenir. Nous nous approchâmes donc des autres îles.






Les tortues fournissaient une bonne viande, aussi bonne que du boeuf frais, mais après deux ou trois repas, nos hommes refusèrent d'en manger à cause de l'apparence si laide de ces animaux avant la cuisson. Elles étaient si grosses que huit d'entre elles remplissaient la yole.
Avançant parmi les îles, nous trouvâmes dix à douze brasses à une lieue de terre. A deux lieues, il y avait de vingt à trente brasses, avec un très bon fond. Pour le soir, nous avions pensé mouiller près d'une île qui s'étendait Est / Nord _ Est et qui paraissait pouvoir offrir beaucoup de fruits et d'eau. Mais la nuit était proche et, comme nous avions aperçu des hauts _ fonds et des rochers au long de la côte, ainsi que d'autres îles devant nous, nous virâmes de bord et nous restâmes au large, cap au Nord / Nord _ Est, en attendant le lendemain et en espérant que nous trouverions un bon mouillage auprès des autres îles qui nous apparaissaient un peu plus loin à l' Est / Nord _ Est.
Mais sur notre route il y avait une petite île ( 5 ), à deux lieues environ du rivage. Nous ne parvenions pas à la doubler, mais nous réussimes à passer entre elle et l'île principale. Nous avions des fonds de quinze à vingt brasses. Cette petite île n'était guère plus qu'un rocher, ou peu s'en faut. Ayant passé ce rocher nous tirâmes des bords jusqu'à minuit, puis nous demeurâmes sous la côte Est de l'île, les voiles flasques, sous un vent frais. Nous tirâmes des bords vers l' Ouest, puis vers le Nord et l' Ouest / Nord _ Ouest, pour demeurer auprès de l'île.
J'avais aperçu une trentaine d'îles petites et grandes, et les eaux étaient libres autour d'elles. Nous fîmes route au Nord par rapport à elles. La distance entre l'île la plus au Sud et celle qui se trouvait le plus au Nord pouvait être d'environ vingt lieues, et elles étaient très rapprochées les unes des autres.
(1 ) _ D'après Revett, 4° 48'.
(2 ) _ Ile du Nord.
(3 ) _Ile Silhouette.
(4 ) _ Praslin et ses voisines.
(5 ) _ Mamelles.




















21 janvier






Au matin, nous nous sommes préparés pour nous rendre à terre. Nous avons envoyé notre yole pour sonder devant le navire et pour chercher un endroit favorable au mouillage.
Aux environs de neuf heures du matin, nous avons jeté l'ancre par un fond de quinze brasses, à un demi-mille de la côte, à peu près. Mais il y avait là beaucoup de petits écueils. En conséquence, nous allâmes plus avant.
Nous trouvâmes alors un fond clair et nous pûmes avancer aisément.
En plusieurs endroits nous trouvâmes une eau potable excellente, mais rien ne venait signaler qu'il y avait jamais eu là une vie humaine.
Il y a un excellent passage qui se trouve entre deux îles situées à environ un mille et demie l'une de l'autre et qui s'étendent de l'Est / Sud _ Est au Sud _ Est et au Nord _ Est. Il y avait trois autres îles qui se trouvent à trois lieues environ de l'endroit où nous étions à l'ancre. Ainsi nous nous trouvions dans une sorte de bassin entouré de terres, sauf à l'Est / Nord _ Est et à l'Est.
Pour permettre l'identification de l'endroit où nous étions au mouillage, je dirai qu'il y avait une petite île ( 3 ) qui se trouvait à proximité, au Nord du chenal à deux lieues environ et qu'il y avait un rocher ( 4 ) entre l'île dans laquelle nous voulions nous rendre et celle dont je viens de parler ; le passage se trouvant au Sud de celui _ ci . Vers l'Ouest _ Nord _ Ouest se trouve une île très haute, à environ dix lieues, qui est celle dont j'ai déjà parlé ( 5 ). Nous avons jeté l'ancre. Le passage était à 4° 10' Sud.


















22 janvier




Mettant un canot à la mer afin qu'il se dirige vers l'Est / Nord - Est, nous élongeâmes deux filins sur une bonne longueur et nous mouillâmes l'ancre par treize brasses de fond, excellent fond.
Nous étions à une portée de pistolet du rivage, vers lequel nous nous dirigeâmes comme si nous avions navigué dans un bassin de vingt à trente brasses de profondeur.
Nous fîmes alors de l'eau et du bois tout à loisir, avec beaucoup de facilité. Nous trouvâmes beaucoup de noix de coco, mûres et vertes, de toutes espèces, beaucoup de poissons, d'oiseaux et de tortues ( Mais nos hommes ne voulaient pas en manger, alors que nous aurions pu en tuer autant que nous aurions voulu. ). Il y avait beaucoup de raies, et autres poissons. Auprès des rivières, il y avait également beaucoup d'alligators ( 8 ) . En pêchant des raies, nos hommes en prirent un. Ils le tirèrent au sec tout vivant, en lui passant une corde derrière les ouïes. Sur l'une de ces îles, à deux milles de l'endroit où nous nous trouvions, il y avait de beaux arbres, tels que je n'en avais encore jamais vus quant à la hauteur et au diamètre du tronc. Leur bois est dur . On peut en trouver beaucoup qui mesurent de soixante à soixante dix pieds de haut, sans une seule branche, si ce n'est tout en haut. Ils sont très gros et droits comme des flêches. L'endroit est excellent pour les rafraîchissements et pour le bois, l'eau, les noix de coco, les oiseaux et les poissons. Il n'y a aucun danger de quelque sorte que ce soit, à l'exception des alligators. C'est à ne pas comprendre que personne ne soit venu ici avant nous. ( 9 ).


( Le 1er février, ils mettaient à la voile ... )


( 1 ) _ Mouillage final, sous Ste. Anne, près
de la Victoria actuelle.
( 2 ) _ Cerf, Ile-Longue et Ile-Moyenne.
( 3 ) _ Mamelles.
( 4 ) _ Brisard.
( 5 ) _ Silhouette
( 6 ) _ 4° 35 Sud.
( 7 ° _ coco-de-mer ?
( 8 ) _ Il s'agissait de crocodiles, ( Ils ont
complètement disparu ! )
( 9 ) _ Ils ont appelé ces îles : " Les îles
désolées " !






























L ' UNE DES CLÉS POUR COMPRENDRE




LE PEUPLEMENT DE L'ARCHIPEL








( LA CHASSE AUX MARCHANDS D'ESCLAVES )




























_ Les lettres dont la traduction figure ci-dessous ont été écrites de Zanzibar par le Capitaine du H.M.S. WASP à son épouse, en 1865. Leur auteur devait devenir l'Amiral Cornish _ Bowden. Elles ont été publiées par le " TIMES " en date du 18.04. 1964.














_ " La nuit dernière, j'entendis raconter qu'un navire se préparait à appareiller avec un chargement d''esclaves. Je donnai des ordres pour armer la chaloupe et le canot.
La chaloupe aperçut un dow, ouvrit le feu dans sa direction et se prépara à l'aborder. Le dow, manoeuvrant ses voiles, courut sur elle et emporta son mât. Le Lieutenant Théobald reçut un coup de lance au poignet et un pauvre homme fut tué. Ils nous repoussaient avec des lances de bambou. Le Lieutenant Rising, avec le canot, l'aborda par l'arrière. Après une résistance acharnée, les Arabes sautèrent par-dessus bord et s'éloignèrent dans une embarcation, à l'exception de treize d'entre eux qui restèrent à bord. Ils laissaient trois morts.






Il paraît que ce pauvre Rising avait bondi au-milieu de la mêlée avec beaucoup de courage, mais sa main gauche avait été quasiment sectionnée à hauteur de l'articulation. Il avait également été blessé au cou, d'un revers de sabre.


C 'est le canot que nous avons vu revenir le premier, avec le pavillon en berne. A son bord, il y avait ce pauvre New, mort. Rising ne pouvait plus bouger, il était couvert de sang, mais il n'avait pas perdu conscience.
Je fis donner la vapeur aussitôt et je ramenai le dow à la remorque jusqu'au port. Aussitôt arrivé, je me rendis à son bord : Il était bourré d'esclaves, qui étaient aussi serrés que des abeilles dans un essaim. Il n'était pas étonnant que mes hommes aient été abattus sur ce pont : Ils avaient été obligés de se battre en se tenant debout comme ils le pouvaient, juchés sur les corps.
Nous avons compté deux cent quatre vingt neuf esclaves : Des femmes et des fillettes, pour la plupart. On nous dit que plusieurs, effrayés, avaient sauté par-dessus bord.












14 MAI : _ Je suis allé rendre visite au Sultan. Je lui ai dit ce que je pensais, aussi fermement que possible. Le Sultan acquiesçait à tout ce que je lui demandais et, après avoir reçu la lettre que je lui avais fait porter, il avait fait saisir deux cent cinquante esclaves qui avaient été rassemblés par les Arabes pour un nouveau chargement.








Lorsque je lui dis que je souhaitais ne restituer ni les esclaves, ni le bateau, il mit le tout à ma disposition et , comme je lui demandais de punir les prisonniers arabes, ils me répondit que je pouvais en faire ce que je voulais : Je pouvais les pendre ou en faire ce qui me conviendrait. Je refusai cette responsabilité et je m'efforçai de lui faire comprendre que c'était à ses propres lois qu'ils avaient contrevenu. Il était si brutal que je ne pouvais me permettre d'avoir avec lui, ne serait-ce que l'apparence d'une dispute.
Dès que mes esclaves seront capables de tenir le coup, je ferai la traversée vers les Seychelles avec eux. Le temps pluvieux me pose des problèmes pour leur logement à bord. Aujourd'hui, j'en ai cent quatre vingts et il faut trouver une solution, surtout pour les plus affaiblis et pour les petits enfants.
Dès leur arrivée à bord, on les a mis dans des baquets et les hommes d'équipage les ont lavés avec du savon mou. Pendant qu'on les lavait, je me suis aperçu que beaucoup d'entre eux avaient de petites plaies.
Ils sont très heureux, maintenant qu'on leur a dit qu'ils ne seraient plus jamais esclaves.








23 MAI _ : Je suis tout près des Seychelles. Dès demain je serai au mouillage là-bas. Dieu merci, nos blessés vont bien, ( On a amputé la main de ce pauvre Rising, à l'exception du pouce et du petit doigt. Il est affreusement faible, mais il tient bien le coup. J'ai essayé de le réconforter en lui disant qu'il allait avoir une promotion ... Je l'espère d'ailleurs, et je sens que je peux rédiger un excellent rapport en sa faveur.)




Vous pouvez imaginer dans quel état nous nous trouvons : Depuis le mât de misaine jusqu' à l'arrière, le pont n'est qu'un hôpital. Le reste du navire est un enclos à esclaves. Dans l'ensemble, ils se comportent bien mais maintenant qu'ils ont surmonté leur peur et leur mal-de-mer ils font grand bruit !
Nous avons eu quatre morts ... Pauvres êtres! _ Je ne peux pas les mettre dans la cale : Ils sentent trop fort! _ Tous les matins nous les lavons dans de grands baquets, en les arrosant au jet : Je pense qu'ils n'ont jamais été aussi bien lavés ! Plusieurs d'entre eux sont couverts de crow-crow, la gale africaine. . Je crois d'ailleurs que, plus ou moins, tous en ont.
L'armurier et le forgeron ont fabriqué tout un appareillage en fer, qui encercle le crâne de Rising et sa poitrine, afin de tenir sa tête droite ...




















































UN RECORD HISTORIQUE ABSOLU...






CAPITULATIONS ET CHANGEMENTS DE DRAPEAUX ...
























Seize capitulations successives ! _ C'est un record sans doute ... N' est-ce pas ?


_ " Envoyez les couleurs!"


_ " Amenez ! "












Et c'est le même homme qui a signé toutes ces capitulations, dans le même pays : Les Seychelles ... Et devant le même adversaire : L ' Anglais. Autant dire que, de mille sept cent quatre vingt quatorze à mille huit cent onze, le pavillon français
et l ' Union-Jack n'ont cessé de monter et de descendre alternativement au mât de l ' "Etablissement du Roi" !
_ Autant dire qu' en ces dix-sept années, le pavillon britannique a flotté chaque fois que passait un navire britannique, remplacé par le pavillon tricolore dès que disparaîssait le visiteur. _ Du reste, si le Capitaine Newcome avait, le premier, recueilli la capitulation des Seychelles, le dix sept Mai mille neuf cent quatre vingt quatorze, le Commandant des îles n'avait pas changé : C'était toujours Jean-Baptiste Quéau de Quincy, gentilhomme et Capitaine du Régiment de Pondichéry, ancien écuyer de Monsieur, frère du Roi de France.




_ Première capitulation le dix sept Mai mille sept cent quatre vingt quatorze, donc, sous la menace des cent soixante canons de quatre vaisseaux ...
Le pavillon français remonte au mât dès le premier Juin.
_ Deuxième capitulation le vingt et un Août mille huit cent un, devant les bouches à feu de la "Sybille",qui venait d'amariner la Frégate française "La Chiffone". _ Capitulation encore, et encore capitulation ... Les drapeaux se succèdent en haut du mât. Pour un peu, les Seychelles seraient devenues un condominium franco-britannique ! ... On se les partage sans l'autorisation des métropoles !


_ Les métropoles, elles, ne se satisfont pas toujours de ce manège ... Ainsi, en septembre mille huit cent quatre, Monsieur de Quinssy capitule encore, devant le Capitaine Wood cette fois, commandant le " Concorde". Mais ... Par inadvertance sans doute, ( L'habitude précipite les réflexes conditionnés ! ) Quéau de Quinssy bouscule un peu les choses : Il capitule ... Avant qu'on le lui demande ! ... Nouvel échange de pavillons !




_ Le Général Decaen, Gouverneur-Général, depuis l'Ile-de-France sermonne le Commandant des Seychelles, et rappelle qu'il ne faut point tant se presser.


_ " Il est évident que la Colonie ne peut être défendue ... Néanmoins, si Messieurs les Anglais veulent s'emparer des Seychelles, ils devront y mettre les formes. Tant qu'ils n'auront pas effectué une prise de possession officielle, le pavillon français devra flotter en haut du mât ... Chaque fois que ... Les Anglais ne seront pas là ! "
... En substance, c'est ce qu'écrit le Général et , croyez-nous, un Général, ça s'y connaît !






_ " Donc, ne vous hâtez point trop quand vous capitulez ... Il y va de l'honneur de la patrie !






_ On ne détourne pas le cours de l'Histoire : Le drapeau français a fini par rester en bas du mât.


Les forces navales anglaises croisent entre les Seychelles, Tromelin, la côte malgache et les Mascareignes. Elles prennent possession de Rodrigues en mille huit cent neuf.
Le sept Juillet mille huit cent dix, c'est La Réunion qui est prise et le trois Décembre de la même année, c'est le tour de l' Ile-de-France. Les Seychelles deviennent britanniques, puisque le Gouverneur_général français ne gouverne plus rien du tout.
_ Plus de Gouverneur : Plus de Gouvernement ... Le Général Decaen regagne sa bonne ville de Caen, dans sa Normandie.
Le vingt et un Avril mille huit cent onze arrive le "Nissus" et, à son bord, le premier fonctionnaire britannique. _ L' Union _ Jack flotte sur les Seychelles. _ C'était le courant de l'Histoire ... Il est probable que Quéau de Quinssy l'avait pressenti ... Tout comme Decaen ... Chacun tirant ses propres conclusions.


_ Donc, en mille huit cent quatre, emporté par ses réflexes et sa précipitation, de Quinssy baisse son pavillon. Il se fait sermonner. L'année suivante, la frégate le " Duncan", sous pavillon de prise, mouille dans le port de Mahé. Le bâtiment l' "Emélie", une de ses prises, armée en guerre, contourne l'île. Il trouve, près l'île Thérése le "Courrier des Seychelles" avec une traite de cent soixante dix noirs. Il l'amarine. Mais les cent soixante dix noirs ont eu le temps de se cacher. On les recherche.




L' Anglais met cinquante hommes à terre, qui dévastent l'habitation des sieurs Blin et Dupont, propriétaires du "Courrier des Seychelles".
Le brick le "Sirius", venant de Madagascar, arrive au mauvais moment : On le canonne ... Il perd sa mâture et son gréement. Le lendemain, on brûle la goëlette la " Rosalie", de trente tonneaux.
Au bout de cinq jours de présence, le "Duncan", l'Emélie" et le "Courrier des Seychelles"appareillent et reprennent le large...


_ "Sans avoir arboré le pavillon anglais ni témoigné la moindre envie de prendre possession de ces îles... ", écrit le Général Decaen, rendant compte à Son Excellence Monsieur le Ministre de la Marine et des Colonies, à Paris. _ Merveille des rapports administratifs et militaires ! ... inimitable saveur des styles !


_ " Ce départ sans prise de possession laisse les choses sur le pied où il me paraît naturel qu'elles soient, c'est à dire que toutes les fois qu'un bâtiment de l'Empire (C'est de l'Empire français qu'il s'agit, cela va sans dire ... ), paraîtra dans quelqu'une des rades de cet archipel, le pavillon français doit y flotter à moins d'une prise de possession de la part de l'ennemi qui, alors, pourrait donner lieu à une attaque proportionnée aux forces qui y auraient été laissées pour garder la conquête ..."


_ Ah ! Mais ! ... Ce n'est pas pour rien que Corneille, Nicolas Morphey, commandant la frégate le "Cerf" a déposé à Mahé une pierre de granit gravée aux Armes de France ... Il est vrai que c'était le premier Novembre mille sept cent cinquante six et que les Armes de France portaient alors trois fleurs de lys, le Cordon du Saint-Esprit et la couronne royale ... Le pavillon était blanc et l'on tirait le canon en criant : _ " Vive le Roi" !






( Références : A.A.Fauvel : Unpublished Documents on the History of Seychelles Islands. Lettres du Général Decaen à Son Excellence, Monsieur le Ministre de la Marine et des Colonies. Ile-de France, an 14 .... Soit le 6 Décembre 1806. )




























LE TRESOR DU PIRATE LA BUSE ...


























Les pirates européens ont régné sur les étendues de l'Océan-Indien tout au long des seizième, dix septième et dix huitième siècles . Ils y faisaient tout ce qu'ils voulaient, comme ils le voulaient, quand ils le voulaient.
A vrai-dire, leur puissance était plus que diabolique et leur bravoure dépassait les limites humaines. Ils ont été admirés par beaucoup, haïs par certains. De nos jours, tout le monde est intrigué par leurs aventures et leur vie.


Les îles de Madagascar, des Comores, Maurice, La Réunion et les Seychelles leur servaient de bases, tantôt semi-permanentes, tantôt strictement temporaires. Une grande partie de leurs trésors mal acquis et de leurs prises ne pouvait être conservée entre les flancs de leurs navires, au risque des rencontres avec des vaisseaux plus puissants que les leurs, corsaires ou appartenant aux marines de guerre. Ces trésors étaient donc souvent enterrés à la hâte sur les îles, en des endroits retirés permettant de les cacher. Ils étaient accessibles seulement par des itinéraires compliqués, marqués de signes cabalistiques.
Il est bien connu que les Seychelles ont reçu de telles visites, brèves ou longues, et qui se sont étalées sur trois siècles. Certains des pirates ou corsaires ont laissé des traces. Ils ont eu parfois une descendance, dont les membres ont participé de manière notable au développement de la nation seychelloise. On rappellera les noms de certains d'entre eux : Adam James, pirate originaire d'Ostende, Bernadin Nageon- de- l'Etang, Capitaine de corsaire français, Jean-François Hodoul, Capitaine de corsaire de La Ciotat, en France.
Le pirate le plus célébre qui soit venu aux Seychelles pour y cacher l'un des trésors les plus importants de tous les temps fut Olivier Levasseur, alias " La Buse ", homme d'excellente origine, venu de Calais, en France.












LA BUSE ET TAYLOR _ Lorsque les Britanniques et les Français, au début des années mille sept cents, intervinrent aux Caraïbes pour y faire cesser la piraterie, pirates et boucaniers durent porter ailleurs leurs exploits ou mettre fin à leurs pratiques. Parmi ceux qui émigrèrent vers l'Océn _ Indien figuraient les célèbres Edward England et Taylor, Anglais tous les deux.
Il y avait aussi Olivier Levasseur, qui était Français. Le vingt cinq Juillet mille sept cent vingt, La Buse débarqua aux Comores pour y faire réparer son navire, endommagé. Pendant qu'il se trouvait là, il assista à un combat sanglant dans lequel était engagé Edward England, commandant le " Victory ", qui réussit miraculeusement à se tirer d'affaire. La Buse rejoignit ensuite Taylor, le plus célèbre des pirates, ancien Lieutenant de la Marine Royale.
Il reçut le commandement du" Victory ", tandis que Taylor prenait celui de la " Défense ", prise au cours de la bataille dont nous venons de parler. Au total, quelque cinq cents pirates furent rassemblés et répartis sur les deux navires, qui cinglèrent ensuite vers les côtes de l'Inde.
Ils se ravitaillèrent à Cochin. Avec une immense sauvagerie et une grande brutalité ils maltraitèrent les habitants des Maldives et des Lacadives.
La Buse et Taylor fient ensuite route vers l'Ile-de-France ( Ile Maurice ) en février mille sept cent vingt et un : Ils devaient y renouveler leurs vivres, qui étaient complètement épuisés. A Maurice, Edward England et quelques autres décidèrent de rester et de s'installer. Le quatre Avril mille sept cent vingt et un, nos deux " maîtres-pirates " et leurs équipages mettaient le cap sur Madagascar.
























LA BUSE AUX SEYCHELLES : L' ÉCUMEUR DES MERS DU SUD.


Entre mille sept cent vingt et un et mille sept cent vingt quatre, on sait que La Buse fut plusieurs fois invité à s'établir pacifiquement, après amnistie, par les autorités françaises. Il ne leur fit pas confiance, préférant garder son indépendance en haute mer et à Madagascar, disait-il, et n'ayant aucunement envie de restituer au Conseil Paroissial de St. Paul, qui le demandait, aucune des pièces de la vaisselle sacrée qu'il avait saisie sur la " Vierge du Cap ".


Entre mille sept cent vingt cinq et mille sept cent vingt neuf cependant, La Buse parût s' être évanoui. On pense généralement qu'il vêcut aux Seychelles, avec deux cent cinquante hommes, pendant trois années, réalisant peut-être, entre autres sinistres besognes, la dissimulation de ses fabuleux trésors. Les endroits qu'il aurait pu choisir pour cela sont nombreux, mais Belombre est le plus probable car on y trouve des signes et des marques étranges sur les rochers. Parmi ceux-ci, et sans aucune possibilité d'erreur, on distingue le navire " Argo "de la mythologie grecque, un énorme oiseau scupté sur un rocher, une entaille dans un éperon granitique, un pubis féminin et un vagin, ciselés dans le roc de façon parfaite. Il y a encore plusieurs autres sculptures dans la pierre et le granit ... On ajoutera à cela que de nombreux objets ont été trouvés, datant de l'époque de La Buse, parmi lesquels figurent des verres, de la coutellerie, des poupées, des poteries, des bouteilles, des boîtes d'apothicaire gravées ... Des tombes, proches, prouvent que quelques pirates sont morts à Belombre pendant le séjour de La Buse.
Les chasseurs de trésors ont fouillé le site et ses alentours pendant plus de soixante cinq ans. Aujourd'hui, beaucoup sont convaincus que le trésor d'Olivier Levasseur peut être évalué à plus de cinq cents millions de dollars U.S. ... Et qu'il se trouve toujours là ! Les objets découverts pendant les trente dernières années de recherche constituent de toute évidence autant d'indices prouvant que les pirates s'étaient bien installés là, et ceci pendant une longue période.














LA BUSE, SON MESSAGE CRYPTÉ ET SA FIN :




A un certain moment de l'année mille sept cent vingt et un, La Buse et ses hommes quittèrent les Seychelles pour se rendre à Madagascar, espérant peut-être une amnistie ... Tout près de la grande île, leur bateau fut pris dans une tempête et jeté sur les récifs, puis il se disloqua. Certains furent saufs, La Buse parmi eux.


Les autorités françaises de l'Ile Bourbon,( l' actuelle Ile de La Réunion ), eurent vent de la présence de La Buse à Madagascar, et de son isolement. Un navire, nommé la " Méduse ", commandé par le Capitaine L' Hermitte fut envoyé pour le capturer, en mille sept cent trente.
On piégea facilement La Buse et on le ramena à Bourbon dans les fers. Le Gouverneur,Pierre _ Benoît Dumas, fraîchement arrivé, détestait les derniers pirates non repentis. Après plusieurs jours d'audition et d'interrogatoire, le Conseil de l'Ile Bourbon condamna La Buse à être pendu pour crime de piraterie.


Pendant qu'il se trouvait en cellule, dans l'attente de son exécution, La Buse, dit-on,réussit un exploit surprenant ... Sur un morceau de papier, il écrivit un cryptogramme absolument indéchiffrable, indiquant l'endroit où étaient cachés ses trésors et le moyen d' en trouver le chemin d'accès.
Une nuit, il reçut dans sa prison un visiteur distingué, qui lui offrit la liberté et le pardon s'il consentait à dire où il avait dissimulé son immense fortune, dont tout le monde connaissait l'existence ...


_ " Jamais ! Répondit-il ... Pas question ! "




















La Buse fut conduit à St. Paul et, à cinq heures de l'après-midi, le sept Juillet mille sept cent trente, devant la porte principale de l'église, on lui demanda de faire amende-honorable, de se repentir de ses crimes et de prier Dieu et le Roi afin qu'ils veuillent bien lui accorder le pardon. Il tenait à la main un cierge allumé d'un poids de deux livres.






Au moment où on allait le pendre, il lança le fameux cryptogramme au-milieu de la foule en criant :


_ " Trouve mon trésor celui qui le pourra ! " ...


Depuis deux cent cinquant huit ans, personne n'a encore rien trouvé, tandis qu'il repose au cimetière marin de St. Paul, à La Réunion, parmi les grands hommes passés dans l'autre monde.




( D'après une note de présentation contenue dans l'annuaire des télécommunications des Seychelles_ " Cable and Wireless " _ 1990 ).




































RELATION DU VOYAGE DU SIEUR ANACLETO GOMEZ,


NATIF DE PORTO, AU PORTUGAL ...
























Le sieur Anacleto Gomez était propriétaire d'un tonnie, sur lequel il s'embarqua à Trinquebar pour se rendre à Trinquemalay, avec une quantité de passagers qui, comme lui, après avoir été réduits aux plus cruelles extrémités de la faim et de la soif pendant une traversée de près de cinquante jours sont venus se perdre sur l'Ile-du-Nord, à six lieues de l'île Seychelles. ( L'île de Mahé était alors désignée sous le nom d'île Seychelles. )






Le sieur Gomez partit de Trinquebar le vingt Novembre mille sept cent quatre vingt huit pour Négapatnam où il arriva le soir du même jour. Il repartit de Négapatnam pour Trinquemalay à huit heures du matin, le vingt deux du même mois et fit route tout le jour avec bon train jusque vers les huit heures du soir : Le vent, qui avait soufflé du Nord au Nord-Ouest étant devenu trop violent, la mer embarquant de tous les bords et la pluye tombant à verse, le tandel fit mettre bas la voile, qui fut déchirée par morceaux en l'amenant.
Le lendemain à la pointe du jour il fit le Sud-Ouest pour tâcher d'accoster la terre, qu'on avait perdue de vue, et vers les huit heures du matin, il se trouva devant Trinquemalay, à environ six lieues, mais étant sans voile et ayant fait tout ce chemin par la force des courants et du vent, d'autres courants l'ont dépareillé de terre si violemment qu'à dix heures du matin, personne n'en avait plus connaissance.




N'ayant point encore perdu tout espoir, bien qu'à la dérive, tout le monde s'occupa à raccommoder cette voile pour tâcher d'approcher la terre, après quoi on a continué avec cette mauvaise voile ... ( mot illisible ) à faire le Sud-Ouest toute la nuit jusqu'au jour ( mot illisible ) passés au Sud_Ouest les ont forcés à virer de bord et à gouverner au Nord_Ouest. Ils ont tenu cette route jusqu'au lendemain à quatre heures du matin, vingt neuf du mois, qu'ils ont touché sur deux pièces de bois, l'une après l'autre, qui étaient entre deux eaux, ce qui leur a fait croire qu'ils étaient sur les basses de Ceylan, en conséquence de quoi ils ont amené la voile pour sonder, ce qu'on a fait, sans trouver de fond, la voile, en l'amenant, s'étant derechef mise en pièces et étant hors d'état d'être raccommodée ; ils ont resté à sec, en proye aux vents et aux courants qui, au soleil levant, leur ont fait reconnaître Batacale, à la distance de sept à huit lieues.
Etant absolument sans voiles, tout le monde fournit des draps, nappes, serviettes, même des jupes de femmes passagères pour refaire une voile à dessin de rattrapper cette terre qu'on avait reconnue au soleil levant , mais le malheur avait voulu que tout le monde travaillât avec la plus grande activité après cette voile qui devait faire leur salut, dès qu'elle a été faite, à dix heures du matin, on s'est trouvé sans terre, sans qu'aucun d'eux ait pu dire ou juger de quel côté elle leur restait.
Ayant donc perdu cette terre de vue, et toute espérance de la rattraper, ils ont tenu conseil sur la route qu'on devait tenir et, n'étant pas absolument d'accord, on fit les airs du vent depuis le Nord jusqu'à l' Ouest, autant que le vent l'a permis pendant la nouvelle lune, jusqu'au dernier quartier, que les vents ont passé au Nord-Est. Pour lors, on fit route directe à l'Ouest pendant vingt quatre heures, mais, croyant que cette route n'était pas la meilleure pour rattraper la pointe de Gal ou le cap Comorin, ils ont fait le Nord_Ouest jusqu'à la pleine lune en décembre.






Etant donc sans ressources, ni l'espérance d'une côte , puisqu'ils n'avaient ni eau ni vivres, ni instruments de marine et que tous les jours leurs noirs mouraient de faim et de soif, ils se sont accordés à diriger leur route sur les Maldives par le moyen d'un mauvais compas de routte et d'une mauvaise et informe carte, croyant qu'ils n'en étaient pas éloignés. Tellement était si (mot illisible ), qu'un des mariniers se jetta à la mer de désespoir et qu'un autre, peu de jours après, se pendit ; beaucoup de gens d'ailleurs mourant tous les jours, les autres jeûnant la faim et la soif , étant réduits à boire de l'eau de mer et leur urine, n'ayant pour toute nourriture que du poisson qu'ils prenaient de temps en temps et qu'on faisait sécher au soleil ( ce qui les rendait rouges comme du sang et leur causait de violents maux de tête. ) N'ayant d'eau douce que lorsqu'il tombait de la pluye, qu'ils ramassaient soigneusement ayant resté plus d'une fois deux, trois, quatre et cinq jours sans boire ni manger.






La quantité d'oiseaux de toutte espèce et surtout des goëlettes blanches dont examinèrent le coucher (mot illisible ) de la pleine lune de Janvier leur rendit leur courage et ( mot illisible ) la direction des oiseaux qui portait au Sud _ Ouest , route qu'ils s' étaient proposés de suivre jusqu'au lendemain matin mais, vers minuit, à la lueur de la lune, ils aperçurent un haut _ fond de roches et de corail. On sonda aussitôt, la voile dehors, et on a trouvé six brasses d'eau, ils ont amené la voile sur le champ et sondé derechef, trouvé sept brasses , ils se sont disposés à préparer une ancre pour mouiller, resondé de nouveau, trouvé treize brasses, par lequel fond ils ont mouillé.




Le câble ayant été coupé par les coraux vers les quatre heures du matin, peu après ils ont resondé sans fond et se sont laissé aller en dérive au vent et au courant jusqu'à que le temps, qui était chargé et couvert d'un grain fort épais , qui ne s'est dissipé que vers les huit heures du matin , se fut bien éclairci. Alors ils approchèrent, sans la connaître, l'île de Silhouette, droit au Nord. Ils s'en étaient alors éloignés de dix huit lieues environ, et firent route dessus.
Etant arrivés par son travers vers sept heures du soir, et ne voyant aucun endroit propre à mettre à terre, ils se sont déterminés à aller mouiller vis à vis une grande anse de sable qu'on voyait sur l' isle du Nord, que personne ne connaissait et où ils ont mouillés par les quatre à cinq brasses, vers les huit heures du soir.
Le tonnie étant mouillé, du bord on aperçut au clair de la lune des tortues sans nombre, qui montaient à terre ; la faim et la soif poussant fortement tous ces infortunés et n'ayant à bord du tonnie aucun petit bateau pour descendre à terre, les sieurs Gomez et Guillot prirent le parti de se jeter à la nage pour tâcher de procurer à tout le monde les premiers secours.
Ces messieurs, ayant manqué de se noyer en allant à terre sont restés toutte la nuit sur l'île et les autres à bord, sans pouvoir se communiquer. Au jour, ceux de terre ont fait de leurs mains une espèce de cati-maron pour tâcher d'aller à bord porter quelques secours à leurs camarades, mais la mer étant trop mauvaise, ils n'ont pu s'en servir : le tonnie ayant beaucoup fatigué toutte la nuit sur son câble, qui s'est trouvé coupé par les coraux vers les neuf heures du matin s'est jeté au plein le jour de la pleine lune en Janvier et s'est aussitôt rompu en deux, de manière cependant que tout le monde s'est heureusement sauvé avec une partie de leurs effets.




La lame ayant jetté au plein le reste de leurs effets, ils les ont tous ramassés en mauvais état mais avec peu de pertes. Tout le monde à terre, après avoir encore souffert la soif pendant deux jours, à force de chercher on a trouvé de l'eau dans une mare pleine de tortues qui la rendaient détestable mais excellente pour le moment. On s'en est servi pour boire et pour faire cuire les tortues et les oiseaux dont ils ont vêcu l'espace de près d'un mois.
Ennuyés de cette vie et de cette nourriture toute de viande et voyant, sans les connaître, des îles plus considérables qui, vraissemblablement devaient donner de plus grands secours, à la pluralité des voix, on s'est déterminé à faire un cati _ maron dans l'espérance de pouvoir joindre quelqu'une de ces isles , mais, n'ayant ni hâches ni herminettes, enfin aucun instrument tranchant qu'un mauvais couteau, tout ayant été perdu dans le naufrage, on n'a pu faire, au lieu d'un véritable cati _ maron qu'un assemblage de cinq gros morceaux de bois des débris du tonnie, semblable à un mauvais rât ,( mot illisible ) long, qui surnageait si peu que les sieurs Coutous et Crambre ( ? ) qui ont eu le courage d'entreprendre le voyage de cette isle à celle de Seychelles étaient sur ce rât dans l'eau jusqu' à la moitié du corps.






Ces deux messieurs, pleins d'intrépidité et d'espérance de trouver un soulagement à leur misère et d'en procurer à leurs infortunés compagnons ont donc entrepris le voyage le dimanche matin premier février avec trois lascars, sans vivres, sans eau douce, avec une mauvaise voile et trois mauvaises pagayes faittes de bouts de planches des débris du tonnie et ont attrapé par le plus grand hazard le lundi vers les trois ou quatre heures du matin la pointe du Nord de l'île Sainte _ Anne dont heureusement le récif les a pris et les a jettés dedans en leur faisant un chapeau de leur rât, ayant attrapé comme ils ont pu l'établissement du sieur Hangard, ils s'y sont reposés et on les a remis à Seychelles vers deux heures après midi : Ces messieurs m'ayant instruit du sort de leurs compagnons, j'ai expédié le soir même deux pirogues des habitants pour aller chercher les pauvres naufragés qui, craignant que les navigateurs du cati _ maron n'eussent péri, se croyaient encore une fois sans ressources.








A Seychelles, le 1_ Xbre. 1789. Gillot














( Document recueilli de l'original,conservé aux Archives Nationales des Seychelles. _ On a conservé l'orthographe et la ponctuation de son auteur : Antoine Gillot, Commandant des îles Seychelles _ Ces documents, très abîmés par acidification du papier ont été restaurés mais certains mots demeurent illisibles à jamais. )




























LES SEYCHELLES :




PETIT RACCOURCI HISTORIQUE






















Au cours de la seconde moitié du dix huitième siècle, les Seychelles, groupe d' îles inhabitées, sont progressivement colonisées par une population française en provenance de France ou des ïles Mascareigne, et particulièrement de l' Ile Bourbon, qui font venir du Mozambique ou du Golf de Guinée des populations africaines pour les travaux serviles.




La faible superfice des territoires utilisables ainsi que les potentialités économiques restreintes de cet archipel font cependant que cette immigration restera modeste : Au début du XIXeme siècle, la population établie se monte tout au plus à quelques milliers de personnes ( quatre mille en 1810 ), dont quelques centaines d'Européens.




A l'issue des guerres napoléoniennes, les Seychelles deviennent une dépendance britannique qui sera administrée depuis Maurice jusqu'en 1903.




La présence britannique, essentiellement d'ordre administratif et militaire restera cependant limitée. Les structures sociales des Seychelles n'évolueront donc que lentement avec, en haut de l'échelle, quelques dizaines de familles de "grands -blancs"d'origine française cohabitant avec un nombre relativement restreint de fonctionnaires de Sa-Majesté. Il est à noter que, contrairement à ce qui se passera à Maurice, les grandes plantations ne pourront pas se développer aux Seychelles et qu'il n'y aura donc pas d'immigration massive en provenance d' Inde ou de Chine. Seuls quelques commerçants proviendront de ces deux pays asiatiques.




Ceci explique donc que, tout au long du XIXeme siècle et jusqu'au début de la seconde guerre mondiale, la langue française ait pu se maintenir aux Seychelles, en parallèle avec l'Anglais , d'autant que l'enseignement, qui n'intéressait certes qu'une partie réduite de la population, était aux mains de la hiérarchie catholique, très largement francophone, et que les liens avec la France n'étaient pas tous rompus( Jusque dans les années 1920, un navire de la compagnie des Chargeurs-Réunis, assurant la ligne Réunion-Marseille fera réguliérement escale à Victoria, qui sera également la tête de ligne vers Nouméa et Papeete. )




Dans les années 1940, les autorités anglaises entreprennent cependant d' "Angliciser" rapidement le pays en imposant notamment l'Anglais comme langue d'enseignement et en alignant l'organisation du système éducatif sur celle en vigueur en Grande-Bretagne.




Après l'indépendance, octroyée en 1976, l'une des premières mesures prises par le Gouvernement consistait à rétablir le Français comme langue officielle, en même temps que l'Anglais et le Créole, concession faite au peuple seychellois qui voyait sa langue d'usage quotidien reconnue officiellement.


D'après un rapport interne de la Mission française de coopération culturelle et technique ( 1992 )
































CREOLE






Chocs sourds
Chambardements d'apocalypse
Bois noirs
De chêne et de châtaigne
Et les relents du coaltar


Voix du fer et du cuivre au grincement des poulies
Chacals
Mais ne parlons plus de la mêche du fouet
Ni de la fourche au cou
Nos liens détordus sont allés au sillage sur la mer
Avec les paroles anciennes




Galets de lest polis sur d'autres rives
Issus de navires venant lèges des pays du couchant
Mots préalables
Prémonitoires
Ramassés au long des estuaires




Mots de fruits et de fleurs
De chemins francs
De cannelle et de muscade
De larmes et de rires
Mots de ligne et d'hameçons




O mère ! Un peuple est né de nos erreurs
Il écrit son avenir avec des caractères anciens
Dont l'assemblage est neuf
MICHEL SAVATIER






























TABLE






1 - Comment on devient chroniqueur...
2 - Le tout-premier débarquement aux iles Seychelles...
3 - Les touristes...
4 - Le missionnaire...
5 - Présentation des Seychelles...
6 - La grande diplomatie...
7 - Traditions franco-françaises...
8 - La visite du Président François Mitterrand...
9 - Hommage à Saint-François d'Assise...
10 - La question linguistique...
11 - Le "tracking" américain...
12 - Où en sont nos relations ?
13 - Les Seychelles à la croisée des chemins...
14 - Lettre à un touriste français...
15 - Un pélerinage aux"Trois-Frères"...
16 - Un reniement historique...
17 - Un incident diplomatique...
18 - Portrait d'un Chinois...
19 - Memento...
20 - Le voyage d'Anacleto Gomez...
20 - Des trésors de diplomatie...
21 - Courte scène "familiale"...
22 - Rites, mythes et croisades...
23 - Les bonnes-âmes, ou de l'écologie bien comprise...
24 - Les maîtres-chanteurs d'Angleterre...
25 - La fête des enseignants...
26 - Une "histoire d'homme-de-bois"...
27 - Le Paradis...C'est ça !
28 - Le festival créole...
29 - Des régimes politiques...
30 - Nostalgies...
31 - La chasse aux marchands d'esclaves...
32 - L'anniversaire du Président...
33 - La coopération culturelle...
34 - Contrôle des changes...
35 - La fête-Dieu...
36 - Portrait d'un Français-résident...
37 - Le trésor du pirate la Buse...
38 - La démocratie...
39 - Autre portrait d'un Français-résident...
40 - Rêveries...
41 - En manière de portrait-chinois d'une jeune Créole...
42 - Portrait d'une coopérante...
43 - Histoire de mer...
44 - Mariages au paradis...
45 - Une seconde "histoire d'homme-de-bois"...
46 - La communauté française : La zizanie...
47 - Les polders de Mahé...
48 - Un dimanche à Beauvallon ( poème).
49 - Portrait d'un coopérant...
50 - La politique...
51 - Politique...Politique...
52 - Un record historique...
53 - Créole ( poème ).










































































MICHEL


SAVATIER
































REMERCIEMENTS






A Monsieur Guy Lionnet, Historien, Romancier, Homme de
Lettres et ... Homme de qualité. Il a bien voulu nous aider
dans notre documentation et nous encourager en toute
occasion.






A Monsieur le Directeur des Archives Nationales Seychelloises.
Il a bien voulu mettre toute sa grande compétence et toute sa
grande bienveillance en oeuvre pour aider nos recherches.








A Tout le personnel des Archives Nationales Seychelloises, dont
l'amabilité et le dévouement ne se sont jamais démentis.






A Tous les Seychellois dans leur ensemble, au nom de l'amitié
que je leur porte.






A Tous les Français en résidence aux Seychelles, qu'ils soient
Seychellois d'adoption ou en détachement de coopération
technique.